Doper la sortie d'un film en le diffusant deux jours plus tôt sur internet gratuitement, c'était le pari des producteurs des Paradis artificiels, mais les exploitants redoutent au contraire des salles vides et ont décidé de retirer de l'affiche ce long métrage brésilien.

Les paradis artificiels, qui sort mercredi en France, a été déprogrammé par 12 des 15 salles de cinéma où il devait être projeté, selon Damned, son distributeur français, qui dénonce une «mesure de rétorsion» de la part de grands exploitants de salles qui n'ont pas admis le passage du film lundi soir sur Dailymotion.

Seulement trois salles, à Paris, Grenoble et Clermont-Ferrand, ont maintenu le film.

«Pour nous, c'est une catastrophe», a affirmé à l'AFP Yohann Cornu, responsable de Damned. «On a cassé la chronologie des médias, alors elle nous a tués».

La réaction des exploitants met en lumière l'opposition frontale entre deux logiques, actuellement au coeur du débat sur la chronologie des médias.

Celle-ci régit les délais de diffusion des films entre leur sortie en salle, leur diffusion à la télévision gratuite et payante et leur édition en DVD. La mission Lescure, chargée par le gouvernement d'une concertation sur la culture face aux enjeux du numérique, doit notamment se pencher dessus. Ses propositions sont attendues en mars 2013.

«Il faut vraiment que les nouvelles plateformes comme les nôtres soient vues désormais par l'industrie culturelle comme un relais de diffusion et de distribution et non pas comme un nouveau monde dangereux», réagit Giuseppe de Martino, secrétaire général de Dailymotion.

«On doit s'entendre, c'est le mot d'ordre. On évoluera ensemble et toutes les passerelles possibles doivent être testées. On veut tendre la main, montrer qu'on est là pour durer et qu'il faut commencer à comprendre à quel point on peut bien travailler ensemble», explique-t-il à l'AFP.

Bouche à oreille

Les paradis artificiels, réalisé par Marcos Prado, bénéficie en France de l'étiquette Eye on film (EoF), réseau de 34 distributeurs et de 42 festivals et spécialisé dans la distribution de premiers et deuxièmes longs métrages. Dailymotion s'est associée avec EoF afin de tester la promotion du cinéma indépendant sur internet.

«Le cinéma indépendant d'auteur est en guerre pour exister», fait valoir Loïc Magneron, patron du distributeur Wide, qui finance EoF à 50%.

Selon EoF et le distributeur, la diffusion du film sur Dailymotion a été un «succès» avec «6060 vues», susceptible de «booster» les entrées en salles, le bouche à oreille se chargeant de faire la promotion du film une fois qu'il a été vu sur internet. D'après eux, il y a également eu «400 000 visionnages de la bande annonce».

Un deuxième film indépendant doit bénéficier du même circuit. Nuit #1, de la Canadienne Anne Emond, sera diffusé dans la nuit du 5 au 6 novembre, de 18h à 6h sur Dailymotion.

Son distributeur, Marc Guidoni de Fondivina films, a indiqué à l'AFP qu'il «ne changeait rien» après avoir prévenu en amont la dizaine de salles qui va projeter le film le 7 novembre.

«On est dans un monde qui se transforme. Qu'on le déplore ou qu'on s'en félicite, c'est comme ça. C'est vraiment une volonté de tester les nouvelles mécaniques de bouche-à-oreille qui sont pas les mêmes en 2012 qu'en 1970», a-t-il précisé.

Marc-Olivier Sebbag, directeur général de la Fédération nationale des cinémas français, n'est pas de cet avis.

«À partir du moment où ce film a été diffusé ailleurs qu'en salle en VOD, la salle n'a plus l'exclusivité. Ces initiatives peuvent apparaître comme portant atteinte à la position de la salle comme primo-diffuseurs. D'où, j'imagine, la réaction de ces salles».