C'est un genre d'exploit. Peut-être encore plus spectaculaire que la plus palpitante des poursuites sur la Tamise. Pendant toute la durée de la production de Skyfall, le nouveau James Bond, aucun élément du scénario n'a filtré publiquement, si ce n'est la présence de Javier Bardem dans le rôle du vilain de l'histoire. En cette ère où la moindre rumeur trouve instantanément son chemin dans les médias sociaux, les productions d'envergure ont pourtant beaucoup plus de mal à garder leurs secrets. Bien sûr, des clauses de confidentialité sont habituellement incluses dans les contrats des artisans, mais il est quand même assez rare qu'aucune information ne coule d'une façon ou d'une autre. «Dans le contexte dans lequel on évolue, on ne peut exercer un contrôle absolu, faisait remarquer lundi le producteur Michael G. Wilson. Même si on essaie de réduire les risques de fuites le plus possible, il reste quand même qu'environ 300 copies du scénario circulent.»

En Grande-Bretagne, Skyfall prend l'affiche vendredi prochain, deux semaines avant sa sortie en Amérique du Nord (le 9 novembre). Or, des rencontres de presse ont déjà été tenues à New York. Les journalistes britanniques ont aussi vu le film. C'est dire que les mystères ont été révélés au grand jour à des dizaines de scribes. Et le risque que quelques-uns d'entre eux en disent trop est aujourd'hui beaucoup plus grand.

«C'est fou, commentait le réalisateur Sam Mendes. J'ai mis la touche finale au film mardi dernier et trois jours plus tard, je lisais déjà des critiques!»

Les journaux spécialisés, Variety, Hollywood Reporter et compagnie, se sont en effet empressés de publier leur recension, sans toutefois vendre la mèche à propos des points forts de l'histoire. Sur les réseaux sociaux, plusieurs journalistes - la plupart sont emballés par Skyfall - n'ont pu s'empêcher de faire écho à leur enthousiasme. Quelques-uns d'entre eux ont même écrit sur Twitter qu'il s'agit carrément du meilleur film de la franchise. D'autres prédisent une nomination aux Oscars pour Bardem. Un autre a demandé qu'on prévienne Mendes, car il compte l'embrasser sur la bouche la prochaine fois qu'il le croisera...

Le plus beau de l'affaire: les secrets du film sont toujours bien gardés. Ceux-ci n'ont rien de «choquant» remarquez, mais il est clair qu'avec Skyfall, on tente de donner un nouvel élan aux aventures du plus célèbre agent secret de Sa Majesté. Indéniablement, on amorce un nouveau cycle.

Relancer la série

Il est à noter que ce James Bond nº23 n'a pas été conçu spécifiquement pour célébrer le 50e anniversaire de la plus ancienne série cinématographique du monde. Cela dit, les producteurs n'ont pas voulu rater leur coup non plus. Même si l'opus précédent, Quantum of Solace, fut un très grand succès commercial, personne (ou presque) n'en fut satisfait. Ni le public ni ses artisans. Au palmarès des films de la série, Quantum of Solace est souvent classé parmi les pires. Daniel Craig, qui enfile le costard de 007 pour une troisième fois dans Skyfall, avait d'ailleurs déclaré qu'ils (les artisans de Quantum) s'étaient «fait baiser», piégés par une production minée par un conflit. «On avait à peine une ligne directrice en guise de scénario et on n'a rien pu y faire à cause de la grève des scénaristes. Je me suis répété: plus jamais ça!» Le message, visiblement, a été entendu.

Faisant jusque-là appel à d'habiles faiseurs, Barbara Broccoli et Michael G. Wilson ont cette fois embauché une pointure. Sam Mendes, lauréat d'un Oscar (American Beauty), fait partie de ces cinéastes capables de proposer une vision d'auteur, tout en respectant le «cahier des charges». Aussi, les scénaristes (le très respecté John Logan - Gladiator, Hugo - a travaillé au script avec les vétérans Neal Purvis et Robert Wade) ont tenu à camper l'intrigue dans un contexte plus réaliste, histoire de faire écho à un monde pour le moins différent de celui dans lequel Dr No est né.

Surtout, on a voulu confronter cette fois James Bond à un rival de taille, aussi flamboyant qu'inquiétant. À cet égard, la rencontre au sommet entre Daniel Craig et Javier Bardem comble les attentes.

À New York, l'acteur espagnol racontait à quel point il était impressionné par la mythologie entourant les films de James Bond. Il en avait même perdu sa concentration lors du tournage d'une scène. «Et une autre fois, Judi Dench avait oublié d'éteindre son téléphone. J'ai craqué quand je me suis rendu compte que la sonnerie de son portable était le motif musical de Bond!»

Pas étonnant qu'avec une telle résonance dans l'imaginaire collectif, tout le monde se fait complice pour ne gâcher le plaisir de personne. Il y a d'ailleurs fort à parier que la consigne soit toujours respectée entre spectateurs une fois le film à l'affiche. Et c'est très bien ainsi.