Après avoir passé un an et deux mois avec son équipage du Sedna IV dans la solitude de l’Antarctique, Jean Lemire doit maintenant se réhabituer au stress de la vie moderne. Et composer aussi avec une notoriété grandissante, acquise dans la foulée de cette expérience hors du commun, relatée dans un livre qui caracole en tête des ventes, et d’un documentaire, Le dernier continent, à l’affiche la semaine prochaine.

En deux jours, cette semaine, l’environnementaliste a enfilé les entrevues à Montréal et Québec à un rythme effarant. Il fallait voir son attachée de presse jongler avec les horaires d’entrevues pour réaliser à quel point Jean Lemire  est devenu porteur d’un message significatif pour la population, à l’heure où la planète étouffe dans la pollution.

Assis dans la verrière du Château Frontenac, pour une entrevue avec Le Soleil, Jean Lemire n’a guère le temps, paradoxalement, d’admirer la glace qui dérive sur le Saint-Laurent. Pas le temps, du moins aujourd’hui. Les entrevues de succèdent depuis le début de la journée et ce n’est pas terminé. On l’attend à la radio de Radio-Canada dans 20 minutes, puis une demi-heure plus tard à CFOM. Séance de signature de son livre à 18h. Première de son film à 19h30 au Cinéplex Odéon. Rien à voir avec la vie à bord du Sedna IV...

Jean Lemire explique que vivre dans la promiscuité avec une douzaine d’autres personnes, pendant 430 jours, coupé du reste du monde, avec des nuits de
20 heures, s’est avéré une expérience qui a changé son homme. On ne revient pas indemne d’une telle expérience.

L’explorateur a notamment appris à vivre avec le silence. «Dans notre société, on masque tout le temps le silence. Tiens, même ici, dans l’hôtel, il y a toujours une musique de fond, comme si on avait peur du silence. Là-bas, j’ai appris à négocier avec le silence. Ç’a été une belle découverte.»

Le dernier continent relate l’expédition du Sedna IV au cœur d’un hiver qui peine à s’installer en Antarctique. Lemire et ses collaborateurs ont colligé des données afin de mesurer l’impact de ces changements climatiques sur cette partie du globe et le reste de la planète.

Docu-vérité

Le film donne à voir, avec ses images absolument fabuleuses, mais frappe aussi par son aspect docu-vérité. Le voyage intérieur des membres de l’équipage, les dangers qu’ils ont affrontés, leurs craintes, leur désarroi, leur bonheur aussi, tout cela est raconté avec un constant souci de réalisme. La portion scientifique, effleurée ici et là, fera ultérieurement l’objet de trois émissions de Découverte.

«Je voulais faire le documentaire comme une fiction, c’était important pour moi, de façon à atteindre un très large public, explique-t-il. Il y a une sorte de suspense, on rit, il y a de l’émotion.»

Avant son départ pour l’Antarctique, Jean Lemire se doutait que la calotte glaciaire fondait à une vitesse folle, mais ce qu’il a constaté sur place a dépassé ses plus sombres prévisions.

«Ça va beaucoup plus vite que ce que l’on croyait, d’où l’importance d’aller là-bas pour recueillir de l’information. Les modèles climatiques élaborés il y a cinq ans sont maintenant dépassés par la réalité. L’Antarctique a connu un réchauffement de six degrés dans les 50 dernières années.»

Réfugiés climatiques

Selon l’environnementaliste, toute la planète doit se sentir concernée par ce qui se passe en Antarctique. Une élévation de la température des océans et la fonte des banquises entraîneront des bouleversements considérables dont on ne peut encore mesurer l’ampleur.

À leur façon, Lemire et son équipage ont vécu le sentiment d’être des «réfugiés climatiques». «S’il y avait eu formation de la banquise, nous n’aurions pas eu de problèmes. Nous aurions pu sortir du bateau plutôt que d’y être confinés. Le sentiment d’isolement aurait été moins grand. Comme nous, les phoques avaient besoin de la glace pour mettre bas. C’est une image très forte pour moi car elle montre que l’homme et l’animal partagent le même destin.»

Pour la suite des choses, et malgré l’attitude désinvolte de certains pays pollueurs, dont le Canada (voir autre texte), l’environnementaliste demeure optimiste. Il constate une évolution des mentalités, même s’il reste beaucoup à faire. Faute de collaboration et de bonne volonté de tous et chacun, la solution devra passer par la coercition. «Ça va prendre des lois», conclut-il.