Claude Legault me donne rendez-vous au bistro Le Porto, rue Ontario Est. De retour d'un tournage en Tunisie (avec le réalisateur Kim Nguyen), l'acteur (Tout est parfait, Les 3 p'tits cochons) et scénariste (Dans une galaxie près de chez vous, Minuit, le soir) repartira dans un mois pour l'Argentine, où il doit tourner Les doigts croches de Ken Scott. Il est à Montréal ces jours-ci pour Dans une galaxie près de chez vous 2, qui prendra l'affiche vendredi. Et pour suivre le parcours en séries de ses Canadiens chéris. Discussion sur le hockey avec un fan fini.

Marc Cassivi: Je voulais te parler de hockey, mais pas pour savoir si on va gagner la Coupe cette année

Claude Legault: On me l'a déjà demandé 1000 fois.

M.C.: Je viens d'une famille de sportifs. Le sport, et le hockey en particulier, a toujours été important dans ma relation avec mes frères et mon père. Je garde de très beaux souvenirs de la Coupe de 1986. C'est mon premier souvenir d'avoir veillé jusqu'à la fin d'un match, même en prolongation.

C.L.: Chez nous aussi le hockey prenait énormément de place. Mon père adorait ça, ma mère aussi. Je lui ai installé le câble quand Radio-Canada a perdu le hockey - ce qui m'a extrêmement fait chier. Je ne comprends pas pourquoi les anglos ont le droit de regarder le hockey gratuitement et pas nous.

M.C.: Ce devrait être un service public.

C.L.: Le pire, c'est que les anglos se font parfois avoir le samedi soir. On leur présente des matchs des Leafs! Les anglophones de Montréal sont des fans finis du Canadien autant que nous. Mais pour revenir à mes parents, c'est vrai que le hockey était mon principal lien avec mon père. On ne se parlait pas. C'était aussi un outil de contrôle de ma mère sur moi. Je pouvais voir le match, dépendant de ma conduite pendant la semaine. Je pouvais perdre une période, deux périodes, ou la game au complet. J'en ai perdu quelques-unes. J'en ai souffert. Mais ma mère tenait son bout.

M.C.: Ma mère ne s'intéressait pas vraiment au hockey. Mais je me souviens de la Coupe de 1986 comme d'un moment fort dans ma relation avec mon père. C'est aussi ça pour moi, le hockey.

C.L.: C'est un truc rassembleur. Même aujourd'hui. Juste à voir comment ça se passe dans les brasseries de Montréal. Il y a beaucoup de filles qui s'intéressent de nouveau au hockey. Je suis un fan. J'ai grandi avec les Canadiens. D'aussi loin que je me souvienne, je regardais le hockey. J'ai ouvert les yeux et j'ai vu un chandail rouge.

M.C.: Mes parents ont des photos de moi à 3-4 ans avec un chandail de Guy Lapointe.

C.L.: J'ai longtemps porté le numéro 5 en impro à cause de Guy Lapointe.

M.C.: Es-tu un fan qui est capable de lucidité par rapport à son club?

C.L.: Tout à fait.

M.C.: Sincèrement, en début de saison, tu voyais le Canadien dans les séries?

C.L.: Oui. Même l'an dernier, j'ai été surpris qu'ils ne les fassent pas. Depuis trois ans, je les vois monter. Il faut être borné ou de mauvaise foi, comme l'est souvent la gang de 110 % - consciemment parce que ça fait un meilleur show -, pour ne pas le voir. J'ai pogné les nerfs contre 110 % au début de la saison. J'en avais assez de les entendre pisser sur le Canadien.

M.C.: Il ne faudrait pas qu'ils perdent contre Boston, parce que ça va recommencer. On va vite oublier le reste de la saison.

C.L.: Il ne faut pas. Il y a deux sortes de fans: ceux qui prennent pour les Canadiens quand ils gagnent et ceux qui prennent pour les Canadiens. Moi, je prends pour les Canadiens. Je les ai suivis dans les années de misère, j'ai souffert avec eux, j'ai ragé, j'ai trouvé ça dur, j'ai trouvé ça plate. Mais j'allais voir les games quand même. J'apprécie deux fois plus ce qui se passe depuis trois ans. Je trippe. Ils en ont bavé. Et nous aussi, les fans, on en a bavé. Mais on a toujours été là, même si parfois on les huait parce qu'on avait raison de les huer. On a une relation amour-haine avec les joueurs. Tu te choques avec ta blonde, elle t'envoie chier, mais après ça tu l'embrasses et vous faites l'amour. Le Canadien et son public baisent comme des cochons depuis le début de la saison. Et ce n'est pas grave si le printemps vient trop vite! On se reprendra l'an prochain. Je pense qu'ils vont culbuter les Bruins. Après ça, on verra.

M.C.: Je ne suis pas un fan invétéré des Canadiens. C'est mon club, mais je ne peux pas dire que je le suis de manière assidue. Le club que je suis comme un fou, c'est Manchester United, au soccer. Je me demande si le vrai fan que tu es ne trouve pas opportuniste qu'on s'improvise tous fans des Canadiens seulement quand ils gagnent et qu'ils font les séries.

C.L.: Je n'ai pas de misère avec ça. C'est un phénomène normal. Je pense que les gens ne veulent pas regarder les Canadiens quand ils perdent parce que ça leur fait mal. On est émotifs au Québec. C'est comme les gens qui n'ont pas voulu voir Tout est parfait (sur le suicide des jeunes), même si c'est une comparaison boiteuse. Il y a des périodes de ta vie où tu ne veux pas voir des films qui font mal, des émissions qui font mal, des nouvelles qui font mal. Tu n'as pas envie de voir trois ou quatre matchs de file où les Canadiens se font torcher. Ils se font des nouveaux fans en ce moment, mais ils ont une garde rapprochée de fans indestructibles, la garde impériale de Napoléon. J'en fais partie.

M.C.: Mais s'ils se font éliminer des séries dans deux semaines, les gens vont se retourner contre eux. Tout le monde aura oublié qu'ils ont fini premiers dans l'Est.

C.L.: C'est comme si ton enfant avait fait des bons coups toute la semaine, qu'il avait eu des excellents résultats à l'école, qu'il avait été super gentil avec sa petite soeur, mais qu'il avait fait un mauvais coup le samedi. Est-ce qu'il faut lui remettre ça sur le nez tout l'été? Le vrai fan va être très déçu sur le coup, mais il va se dire qu'on a eu une saison incroyable. Surtout avec l'hiver terrible qu'on vient de vivre. Le Canadien a été un baume. N'en déplaise aux puristes de la culture, le hockey fait partie de notre culture, comme le foot chez les Européens et le baseball chez les Américains. C'est religieux. Ce n'est pas une folie artificielle. Les gens sont heureux. Il y a un vrai courant rassembleur en ce moment.

M.C.: C'est un cliché, mais je crois réellement qu'on est dans la vie comme on est dans le sport. Généreux ou pas, enragé ou pas, leader ou pas. On n'est pas quelqu'un d'autre sur la glace ou sur un terrain.

C.L.: Moi, je le veux le puck! Je veux que mon équipe gagne. Je vais défendre mes coéquipiers. C'est pareil dans mon travail. C'est vrai que le sport nous révèle à nous-mêmes.

M.C.: Et révèle notre rapport aux autres. J'ai toujours trouvé que le sport était une formidable école.

C.L.: On apprend à se dépasser. Et à donner l'exemple. Je pense que ce que j'ai appris au ho-ckey m'a permis de performer en impro. On n'est jamais plus fort que l'équipe.