La note remise aux journalistes la veille était pourtant très claire. Issue du studio Universal, cette missive indiquait que le nouveau film de Clint Eastwood ne s'intitulait plus Changeling mais The Exchange.

«C'est vraiment une nouvelle pour nous!» s'est exclamée Angelina Jolie hier quand un journaliste a soulevé la question du changement de titre en conférence de presse. «Vous avez reçu une note écrite mais est-ce que cela veut vraiment dire qu'il s'agit de la vérité?» a commenté à son tour Clint Eastwood, un peu surpris lui aussi.

Mais peu importe le titre, Clint Eastwood a proposé hier un film solide, bien accueilli par les festivaliers, dans lequel il explore des thèmes soulevant des questions d'ordre social.

Portant à l'écran le scénario qu'a écrit J. Michael Straczynski, ancien journaliste du L.A. Times, le réalisateur de Mystic River, film avec lequel The Exchange partage le thème de la maltraitance des enfants, offre une espèce de fresque d'époque de très belle tenue, malgré quelques effets appuyés dans le dernier acte.

Retraçant l'histoire de Christine Collins, une mère célibataire qui s'est battue contre le système judiciaire corrompu du Los Angeles des années 20, Eastwood ratisse large sans jamais perdre le fil de son récit. D'autant plus que les faits relatés ici sont d'inspiration réelle, Straczynski ayant écrit le script à partir d'archives contenues dans les coffres de l'hôtel de ville de Los Angeles. Un informateur du journaliste a en effet invité ce dernier à se rendre un jour promptement à l'hôtel de ville car on s'apprêtait alors à incinérer les vieux documents qui ont donné naissance au film.

«À Los Angeles, un grand ménage s'impose dans le service de la police toutes les deux ou trois décennies, observe Eastwood. Comme si la corruption parvenait toujours à trouver le moyen de s'installer d'une manière ou d'une autre. Les années 20 ont marqué la fin d'un cycle à cet égard.»

«Jeune mère interrompue»

Angelina Jolie, qui selon certains, pourrait prétendre à certains prix grâce à sa performance, interprète Christine Collins, cette mère de famille monoparentale pour qui le monde s'écroule le jour où son fils de 9 ans disparaît. Quand, cinq mois plus tard, la police lui ramène un garçon qui prétend être son fils, la descente aux enfers commence. Trop contente de l'opération de relations publiques qui découle de ce dénouement heureux, la police fait en effet tout pour clore le dossier, y compris désavouer les prétentions de cette "mère indigne" qui affirme que le garçon n'est pas le sien.

À partir de là, le film se transforme en un drame psychiatrique, la police ayant l'autorité d'envoyer en institution sans mandat toute personne qu'elle juge avoir besoin de «soins».

Le troisième acte est consacré à l'action sociale de la femme à sa sortie d'institution, tout autant qu'à une affaire de meurtres en série.

«Il est certain qu'après A Mighty Heart, qui abordait aussi la question de la perte d'un être cher, j'hésitais un peu avant d'accepter cette proposition, confie Angelina Jolie. Mais j'ai été assez vite convaincue. Bien sûr, je ne pourrais imaginer pire peine que la perte d'un enfant. Pour moi, le défi était de réagir comme une femme vivant dans les années 20, dans un contexte très différent du nôtre, où les femmes n'avaient pratiquement aucun droit. Ma propre mère étant morte l'an dernier, j'ai aussi vu en ce personnage une façon de rendre hommage à sa discrétion, mais aussi au feu intérieur qui l'habitait quand il était question de nous, ses enfants.»

Le jeu cannois

Habitué de Cannes, Clint Eastwood n'a pas hésité à participer à la compétition. «Tant qu'à être ici, aussi bien jouer le jeu jusqu'au bout, a-t-il dit. Que le film gagne quelque chose ou pas n'est pas le but. Il s'agit simplement d'une occasion magnifique d'offrir un film au monde et d'en mesurer l'accueil. Venir ici hors compétition, c'est se la jouer un peu facile!»

Clint Eastwood a du même souffle dévoilé un petit secret à propos du jury qu'il avait coprésidé (avec Catherine Deneuve) il y a 14 ans, l'année où Pulp Fiction a obtenu la Palme d'or.

«Je suis bien placé pour savoir qu'un jury doit d'abord s'entendre sur un choix collectif, a expliqué l'acteur cinéaste. D'ailleurs, l'année où j'ai moi-même présidé le jury, mon choix personnel a cédé la place au choix collectif. Je ne renie pas du tout le gagnant, que j'aimais aussi beaucoup, mais il n'était pas mon premier choix.»

«De toute façon, ajoute Angelina Jolie, je suis tout à fait d'accord qu'un jury attribue des prix à des artistes et à des films qui bénéficieront directement de cet honneur et obtiendront une nouvelle notoriété. Je trouve cela très bien.»

Notre critique

The Exchange
* * * 1/2