La question s'imposait à la lumière de l'arrivée de Sex and the City au cinéma: comment bien réussir le grand saut de la télé au ciné? Réponse de quatre scénaristes d'ici qui ont goûté à l'aventure ou ont été tentés de le faire.

La tentation: avoir des moyens, ratisser plus large quant à l'auditoire. Le danger: avoir des moyens, ratisser plus large quant à l'auditoire. Les bons et mauvais côtés pouvant pousser un scénariste à faire passer son univers de la télé au cinéma sont les mêmes. L'idée de pouvoir compter sur un budget plus important est en effet tentante - encore faut-il ne pas simplement écrire un épisode plus luxueux et plus long. L'idée d'aller rejoindre un public plus vaste est séduisante - encore faut-il parvenir à s'adresser aux fans comme aux néophytes.

«Le risque, c'est que l'enjeu principal ne soit pas suffisamment fort pour justifier une histoire d'une heure et demie», croit Pierre-Yves Bernard qui, en ce qui concerne le saut du petit au grand écran, a effectué un double salto réussi avec les deux volets de Dans une galaxie près de chez vous. «Quand on écrit des demi-heures pour la télé, poursuit-il, on est pris avec des enjeux dramatiques qui doivent s'articuler dans un format très bref. Ce n'est pas la même chose que de raconter une seule histoire qui doit tenir la route trois ou quatre fois plus longtemps.»

L'avantage de Dans une galaxie, selon lui, est qu'il existait dans la série un souffle dramatique assez fort. Peu importe son traitement - ici, l'absurde - l'avenir menacé de l'humanité est, en effet, tout sauf anecdotique. De quoi habiter un grand écran de manière justifiée. Et sans trahison des personnages ni de l'univers d'origine.

«Il faut garder ce qui a fait le succès de la série tout en proposant quelque chose de neuf, quelque chose qui ne fait pas que tabler sur la nostalgie des fans», explique Isabelle Langlois, qui a flirté avec la tentation d'envoyer toute la bande de Rumeurs jouer dans une salle noire. Elle a renoncé: «Faire du neuf avec du vieux peut être tentant mais être, en fait, une fausse bonne idée», ajoute celle pour qui, l'essentiel dans ce grand saut, «est d'arriver avec une idée forte, surtout pas avec quelque chose qui semble gonflé artificiellement».

Richard Blaimert, l'homme derrière Les hauts et les bas de Sophie Paquin, tient le même discours. Lui, avait eu envie de lancer ses Cover Girls au grand écran: «Avec Pierre Samson, on a pensé à envoyer les folles à Las Vegas mais après? Il faut trouver l'idée magique, ne pas se présenter au cinéma et donner l'impression d'avoir voulu capitaliser sur un succès», assure-t-il.

Peut-être est-il, d'une certaine manière, moins compliqué ou plus naturel de transposer au grand écran une série policière, fantastique, historique ou d'action que ce qu'Isabelle Langlois appelle «une chronique contemporaine qui est dans les petites choses et les observations fines». Et, en effet, pour un Sex and the City, combien y a-t-il eu de Mission Impossible, Star Trek et autres X-Files! Au Québec, on pense aux Plouffe, à Séraphin: un homme et son péché, à Dans une galaxie près de chez vous; et, bientôt, on pensera à Grande Ourse, Patrice Sauvé étant en train de tourner La clé des possibles.

«Mais il faut faire une distinction entre notre cas et celui des séries constituées d'épisodes bouclés, souligne Frédéric Ouellet, scénariste et créateur de ce monde fantastique. Chaque saison de Grande Ourse était comme un film de 10 heures. Avec La clé des possibles, nous faisons dans le condensé et non dans le plus long.» Défi différent, donc. Celui de se concentrer sur une seule intrigue.

La règle d'or, croit Pierre-Yves Bernard, est «de ne surtout pas aller sur les sites de fans au moment de l'écriture du scénario afin de ne pas avoir l'impression d'avoir 250 000 personnes au-dessus de votre épaule qui regardent.» En fait, il faut «essayer d'oublier qu'il y a eu une série avant», affirme Frédéric Ouellet. Afin d'offrir un film qui se tient seul. Qui s'adresse aux fans autant qu'à ceux qui ne le sont pas.

Le couteau, ici, est à double tranchant. «Il y a les attentes des premiers, qui sont grandes. Et les préjugés de ceux qui n'ont pas accroché à la série, qui sont eux aussi de taille», fait Richard Blaimert. L'art de plaire à tout le monde sans faire de compromis, quoi! Méchant casse-tête, finalement...