À 84 ans, le dos courbé par le temps, la démarche assurée par une canne, Frédéric Back demeure un artiste à l’esprit vif, animé de son inextinguible flamme écologiste. Le réputé réalisateur de L’homme qui plantait des arbres considère toutefois que la partie est très loin d’être gagnée.

De passage dans la capitale, où il a reçu lundi un doctorat honorifique de l’Université du Québec, Frédéric Back confie au Soleil, entre deux bouchées de son déjeuner, qu’il nourrit peu d’optimisme pour la suite des choses. Ce qui ne veut pas dire qu’on doive baisser les bras.

«Il y a trop peu de gens courageux et visionnaires, en proportion de ceux qui abusent et se servent à pleines mains, confie-t-il. Même si on est pessimiste, il faut continuer la lutte. C’est la seule façon de renverser la vapeur. Nous sommes dans la même situation que le soldat dans une tranchée, lors d’une guerre. Il ne peut pas être optimiste, mais il fait quand même tout pour remporter la partie.»

Des arbres par milliers

Le militant écologiste ne se doutait pas, à l’époque où il travaillait sur L’homme qui plantait des arbres, que cette œuvre inspirée d’un livre de Jean Giono lui amènerait une reconnaissance internationale. Frédéric Back ne compte plus le nombre de lettres et de courriels de remerciements reçus. À l’image du personnage d’Elzéar Bouffier, des milliers de personnes ont décidé de planter un arbre, histoire d’apporter leur contribution, aussi mince soit-elle, à la sauvegarde de la planète.

«Jamais je n’aurais cru que le film connaîtrait autant de succès, explique le cinéaste. À l’époque, on me disait que ça n’intéresserait que les vieux et ceux qui
s’intéressent aux arbres. Dès que le film est sorti, au Festival d’Annecy, j’ai senti l’enthousiasme des jeunes. C’était vraiment imprévisible.

«Le livre de Giono exprimait tout ce que j’avais voulu dire dans mes films précédents, poursuit-il. J’ai tout de suite voulu mettre des images sur ses mots, de façon à ce que cette histoire puisse entrer dans tous les foyers et toucher tout le monde, dans leur quête souvent erronée du bonheur. C’est une histoire toute simple qui fait appel à la générosité et au dévouement.»

Se qualifiant de quelqu’un de «très simple», Frédéric Back explique que tout ce qu’il a fait l’a été «par instinct». «Très jeune, j’étais préoccupé par tous ces problèmes. J’ai essayé de faire de mon mieux avec les moyens et l’intelligence dont je disposais. Hubert Reeves et Pierre Dansereau ont vu les choses de façon plus subtile. Il faut savoir se tourner vers ces gens-là.»

Un fleuve menacé

La vue du Saint-Laurent, à travers la fenêtre de l’auberge du Vieux-Port où il est descendu, sert de prétexte à revenir sur une autre de ses œuvres marquantes, Le fleuve aux grandes eaux, tourné en 1993, qui se voulait un cri d’alarme à la détérioration de son écosystème. Le Saint-Laurent d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec ce fleuve qu’il avait découvert, il y a une cinquantaine d’années, lors d’une expédition à vélo en Gaspésie.

Le cinéaste se désole de voir les petits navires de pêcheurs remplacés par des bateaux-usines qui dilapident les ressources marines. Tout comme l’insouciance humaine à s’en servir comme d’une immense décharge publique. «Les fleuves des grandes civilisations ont tous subi le même sort. On s’en sert pour se débarrasser de tout. On se dit c’est tellement grand, il n’y aura jamais d’effets…»

La vie et ses aléas ne permettent plus à Frédéric Back de nourrir un ultime projet en animation. La maladie de sa femme, victime d’un AVC, l’oblige à passer de longues heures auprès d’elle, dans un centre d’accueil. De celle qui partage sa vie depuis près de 60 ans, et qui lui a donné trois enfants, il dit : «C’est grâce à elle si j’ai pu faire tout ce que j’ai fait.»

Lorsqu’il en a le temps et l’énergie, il aide sa fille Süzel à numériser et archiver les quelque 5000 croquis et dessins qui dorment dans des boîtes. Ces œuvres peuvent être admirées sur le site www.fredericback.com.