La révolte souffle rue Saint-Denis. La foule demande la mort de la droite, la droite veut rentabiliser l'université, et les étudiants, eux, veulent sortir de la torpeur. Avec Le banquet, Sébastien Rose signe un troisième long métrage radical. Sans confort ni indifférence, son film descend en flammes les utopies de la modernité.

La scène inaugurale du Banquet oppose deux castes. Les enragés, dans la rue, réclament la tête de la droite. Une ligne de policiers sépare la rue de la salle de banquet, où les privilégiés, gestionnaires de l'université et invités triés sur le volet, prennent place. Du banquet au carnage, Sébastien Rose soulève beaucoup de questions.

«Je voulais faire un film qui interroge le Québec contemporain, qui part sur un sujet sur lequel on est appelés à réfléchir collectivement, aux problèmes qu'on vit maintenant. On parle beaucoup de santé depuis 10 ans, l'éducation est le prochain problème à aborder. Je me suis penché là-dessus, et c'est un terrain très fécond», dit Sébastien Rose.

C'est donc autour de l'université que gravitent plusieurs personnages. Un professeur d'histoire et de scénarisation (Alexis Martin) voit ses principes d'éducation ébranlés par un étudiant dont le comportement oscille entre la timidité, l'arrogance et la socio-pathologie (Benoît McGinnis).

«C'est un jeune gars désespéré, qui ne sait pas comment s'aider. Il a des moments d'absence, de folies, et à mon sens, c'est ce qui fait de Gilbert un personnage riche et crédible», dit Benoit McGinnis, dont c'est le premier premier rôle au cinéma.

Le monde universitaire, lui, est secoué par une grave crise financière. Le recteur (Raymond Bouchard) plaide pour une hausse des droits de scolarité et bâtit de grands projets immobiliers pour l'université. Cela ne manque pas de soulever l'ire des étudiants, dont la révolte est conduite par deux leaders (Frédéric Pierre et Pierre-Antoine Lasnier).

Dans la peau d'un professeur à l'idéalisme froid et presque élitiste, Alexis Martin adhère lui aussi au discours de son personnage. «Il s'indigne parce que, concrètement, les étudiants ne connaissent pas leur langue, et il s'insurge contre le mythe qui veut que le prof est un ami», dit-il.

La démarche de Sébastien Rose a aussi profondément séduit Alexis Martin. «J'ai trouvé cela courageux, et audacieux, de poser la question de savoir si l'université est encore une aventure intellectuelle passionnante ou si c'est devenu une sorte de régulation du marché de l'emploi dans la société.»

La transmission - du savoir, des rites et de la culture au sens large - sont ainsi au coeur du Banquet. Sébastien Rose a promené sa caméra entre les bâtiments du campus de l'UQAM pour y suivre les déambulations de ses personnages. Du sommet du clocher de la rue Saint-Denis, du classique bâtiment de l'École des sciences de la gestion à ceux, très modernes, du Coeur des sciences, l'univers du Banquet gravite autour de l'université.

«L'UQAM, ça me parlait beaucoup, admet le réalisateur et coscénariste du film. L'UQAM est née avec la Révolution tranquille. C'est l'idée que l'on va éduquer tout le monde. Mais la démocratisation, ça ne fonctionne pas. Si on tire autant dans les écoles, c'est peut-être qu'on a fait sauter la tradition de manière trop rapide.»

Si Sébastien Rose se défend de refaire l'UQAM dans la fiction, même si l'université du Banquet présente avec la célèbre institution montréalaise certaines similitudes: le culte des étudiants pour le plan de cours, l'engagement estudiantin pour des causes multiples et variées et, enfin, des travaux gigantesques menant l'université très près de la faillite.

Le réalisateur admet: «Ce qui se passe à l'UQAM est très inspirant.» En 2004, quand il commence à scénariser Le Banquet avec son père, le scénariste Hubert-Yves Rose, le monde des étudiants se révolte contre le dégel des droits de scolarité. Et les problèmes immobiliers de l'îlot Voyageur étaient sur le point de faire les manchettes. «J'avais par là la confirmation que ce que l'on faisait était légitime», dit-il.

Un film sombre

Le banquet est sans doute à ce jour le film le plus sombre et le plus radical de Sébastien Rose, dont le CV compte la comédie Comment ma mère accoucha de moi durant sa ménopause et le plus dramatique La vie avec mon père. On le lui fait remarquer, et il s'exclame: «Radical? Tant mieux! Il est évident que Le banquet est plus social, documentaire ou plus politique. Mais moi, j'ai envie de faire toutes sortes de films. Je reviendrai à la comédie, mais ce film s'est imposé de lui-même», dit-il.

Le réalisateur a d'ailleurs été suivi dans cette nouvelle aventure par des fidèles: le montage est encore signé Dominique Fortin, Paul Ahmarani (le fils de Comment ma mère) apparaît dans la peau d'un réalisateur de publicités, Raymond Bouchard (le père de La vie) endosse, lui, la fonction de recteur de luniversité. «J'ai aimé le projet, et travailler avec Sébastien, ça se passe toujours bien», dit-il.

Raymond Bouchard incarne l'ordre, l'autorité et la droite dans Le banquet. Des convictions bien différentes de celles qui l'animaient quand il était encore étudiant, au début des années 70. «C'était l'époque Peace and Love, l'époque de la contestation. On avait des idéaux, quoi. On était très engagés, il y avait beaucoup de mobilisation à gauche. On avait du cran: c'était sérieux pour nous», dit-il.

Catherine de Léan tient, elle, son rôle «le plus trash» à ce jour: une jeune mère toxicomane. La comédienne estime en revanche que le temps des barricades est désormais révolu. «Je sens que je fais partie de la génération d'après (celle du réalisateur), dans le sens où l'engagement n'est pas nécessairement un soulèvement pour nous. Ça se passe autrement», dit-elle.

Bien sûr, Le banquet porte la marque du réalisateur, diplômé en philosophie. On y évoque le Banquet et la République de Platon. La maïeutique de Socrate est elle aussi présente lors d'une scène-clé du film.

«On revient à l'accouchement, on en sort pas», plaisante Sébastien Rose. Puis, plus sérieux, il ajoute: «Rien n'est blanc ou noir dans le film, on a voulu tout nuancer. Dans la Grèce antique, on débattait d'idées dans les banquets, et mon film appelle à la réflexion. Le spectateur peut y projeter ses fantasmes.»

Le Banquet sera présenté au cours d'une soirée de gala du FFM, mardi soir. Le film prend l'affiche le 29 août.

Notes de production
Le banquet a été produit avec le soutien de la SODEC, et sans celui de Téléfilm Canada. Le producteur Pierre Even, de Cirrus Communication, a pioché dans son enveloppe à la performance pour boucler son budget. «Le succès de C.R.A.Z.Y. et de Nitro nous a aidé à faire Le banquet », note-t-il. Le film a été tourné en 33 jours, en 35 mm et avec 5,4 millions.