Les petits comédiens dégagent un naturel fou à l'écran. Mais courir les auditions et fréquenter les plateaux de cinéma est-il vraiment un jeu d'enfant pour eux?

«Ce qui a changé par rapport à l'époque du tournage de La guerre des tuques, en 1984, c'est la médiatisation.» André Melançon, réalisateur du premier Contes pour tous, est catégorique : «Aujourd'hui, les castings se transforment parfois en «académie».» Il cite à ce sujet la frénésie des médias autour du choix de la jeune interprète d'Aurore, l'enfant martyre du remake de Luc Dionne.

Formé en psychoéducation, le cinéaste, qui avait lui-même supervisé la distribution de La guerre des tuques - entre 3000 et 4000 auditions dans 16 écoles - , s'inquiète des effets de la pensée magique suscitée par ces sélections événementielles. «À qui appartient le rêve de faire du cinéma?», interroge-t-il, très préoccupé par l'éthique. «L'aspect marketing qui entoure certains tournages incite des parents à nourrir des rêves disproportionnés pour leur enfant.» CV en poche, ces enfants comédiens suivent maintenant des cours et sont représentés par des agences.

«Si tous les enfants peuvent jouer, ils ne possèdent pas tous l'instinct du jeu», précise André Melançon, qui contredit la notion de fraîcheur «innée» des enfants face à la caméra. «Un mythe!» Par contre, les jeunes dotés de cet instinct, comme Mahée Paiement, se rappelle-t-il de l'actrice qu'il a découverte dans Bach et Bottine (1986), approfondissent leur jeu au fil des répétitions. «L'enfant prend alors conscience qu'il participe à un projet de création.» Le métier est épuisant, concède le cinéaste, mais il s'avère formateur pour le jeune qui développera sa concentration.

«Neuf fois sur 10 choisis, les enfants sont des non-professionnels», explique la réalisatrice Léa Pool, qui a dirigé Marianne Fortier dans son plus récent long métrage, Maman est chez le coiffeur. «Marianne démontrait une rigueur et une maturité hors du commun. En plus d'une intuition positive, j'avais confiance en elle», poursuit celle qui a mis au monde au grand écran Karine Vanasse dans Emporte-Moi (1999).

Contre le vedettariat basé seulement sur l'image, Léa Pool se perçoit comme l'équivalent d'une enseignante. «J'observe leurs forces. Chez le jeune enfant, le rapport à la caméra diffère de l'adolescent. Les petits ne savent pas l'image qu'ils projettent contrairement aux plus grands, sensibles à leur représentation corporelle.»

À l'instar d'André Melançon, Léa Pool constate que les parents jouent aussi un rôle fondamental dans le cheminement de l'enfant dans le milieu du cinéma. Sur le plateau de Maman est chez le coiffeur, ils étaient au nombre de 17 pour un ratio de 14 enfants. «Ils coopéraient et savaient garder la bonne distance pour ne pas nuire à notre travail», se souvient-elle. «Eux aussi sont «happés» par l'expérience», conclut la réalisatrice.

Dénicher la perle

«Bien que la majorité des enfants représentés par des agences et vus en audition veulent beaucoup - souvent, ils répètent des heures devant leur miroir - , peu d'entre eux manifestent le talent naturel recherché.» Nathalie Boutrie, directrice de casting avec Emmanuelle Beaugrand-Champagne pour Le ring, Un été sans point ni coup sûr et C'est pas moi, je le jure!, nuance toutefois les contraintes inhérentes à la sélection d'enfants. «Choisir un adulte n'est pas nécessairement plus simple, mais le bassin de candidats est plus vaste.» D'où l'option du casting sauvage - une méthode qui coûte cher et exige du temps - pour trouver la perle.

«Martin, dans Le ring, nous l'avons découvert ainsi. Anaïs Barbeau-Lavalette, la réalisatrice, voulait diriger un gamin qui ait Hochelaga dans le ventre». «Un Robert De Niro de 10 ans», renchérit la coach Louise Laparé. Or, si les directrices de casting arpentent les rues ou cognent aux portes des écoles («une collaboration souvent difficile»), la question légale n'est pas à négliger. L'enfant approché doit les contacter (et non le contraire) afin de se protéger contre les poursuites. L'autre élément important est l'aspect émotif du travail. «Lorsqu'ils sont retenus pour une seconde audition, les enfants se créent des attentes. Si jamais le rôle leur échappe, nous devons les rassurer ainsi que leurs parents afin d'éviter la déception et les frustrations.» Car la compétition est vive. «Certains parents ont les crocs plus longs que d'autres. On les sent personnellement concernés par le refus. Mais c'est tellement humain», plaide Mme Boutrie. La concurrence ne sévit pas qu'entre les enfants (et leurs parents), mais également entre les réseaux. «Rarement, un enfant sera présent sur deux chaînes simultanément à moins d'être une vedette.»

L'école en priorité

Sa priorité numéro un est la rentrée scolaire. Marianne Fortier est une adolescente «ordinaire» de bientôt 15 ans qui a eu, petite, la piqûre pour le théâtre lors d'activités parascolaires. Propulsée au grand écran en 2005 dans le rôle d'Aurore, la jeune fille aurait de quoi faire la grosse tête.

Choisie parmi 9311 fillettes pour incarner la petite martyre de Lotbinière, elle ne savait pas qui était ce personnage. «Mon père m'a expliqué que c'était Cendrillon avec une fin malheureuse», relate celle qui est maintenant représentée par l'Agence Goodwin. «Je voulais vivre l'expérience pour le jeu.»

D'une sagesse étonnante pour son âge, elle raconte qu'elle a vécu «l'après-Aurore» sans attentes. «J'ai eu des amis plus gentils avec moi et d'autres qui l'étaient moins. Et mes parents ne m'ont jamais poussée à accepter d'autres rôles.»

Récemment, on l'a vue dans Maman est chez le coiffeur de Léa Pool dans le rôle d'Élise, une préadolescente qui prend en charge sa famille après le départ impromptu de la mère. «Avec Léa, j'ai vu le scénario en profondeur. Elle était réceptive à modifier les dialogues que j'avais de la difficulté à me mettre en bouche», dit-elle déjà dans ce langage de professionnelle.

Une coach maternelle

«J'interviens à différents stades de la production. Que j'arrive sur le projet avant ou pendant le tournage, ma priorité est que les enfants s'épanouissent dans ce contexte de performance.» Comédienne chevronnée, inoubliable dans Les Plouffe de Gilles Carle, Louise Laparé s'intéresse plus particulièrement au jeu depuis la télésérie Ent'Cadieux. À l'époque, elle aidait, à titre de comédienne «aînée», le jeune Vincent Bolduc à analyser ses textes. Depuis, elle ne cesse d'accompagner adultes et enfants dans la préparation de leur rôle.

«Ne jamais perdre de vue la petite personne devant moi», l'un de ses soucis, elle se positionne comme une «protectrice», voire en «psychologue» qui renforce la confiance lors de ses interventions. Avec l'appui de fiches, où les scènes à jouer sont décortiquées et détaillent ce qui va se passer, elle amène les jeunes qu'elle supervise à connaître leur personnage et à comprendre les mécanismes du jeu.

Lorsqu'elle est présente tout au long d'un tournage, elle veille, en «maman-poule», à adapter l'horaire à l'horloge biologique de ses protégés. «Entre 5 h et 19 h (une journée type), je m'assure qu'il y aura des pauses, un lunch, un temps pour s'amuser et un autre pour un dodo énergisant. Je veux qu'ils soient conscients qu'on leur demande beaucoup.» À la fois permissive et intransigeante, Louise Laparé insiste sur le fait qu'elle a aussi pour devoir que «ses élèves» retournent à l'enfance, sans séquelles, à la fermeture des projecteurs.

Ils les ont choisis parce que...

> Barbara Shrier, productrice de Un été sans point ni coup sûr, a choisi Pierre-Luc Funk

«Le casting initial nous avait laissés sur notre faim.» La productrice Barbara Shrier raconte qu'ils ont décidé, avec le réalisateur Francis Leclerc, d'opter alors pour un casting sauvage. «Une méthode plus exigeante.» Ils ont dû ratisser aussi large que dans l'école de sa fille pour repérer des candidats. «Pour les équipes de baseball, nous écumions les terrains de jeux la fin de semaine», ajoute-t-elle. Autre particularité : Francis Leclerc et Barbara Shrier sont peu portés sur les auditions traditionnelles, leur préférant des ateliers de jeu supervisé. «On obtient plus de vérité.»

C'est d'ailleurs lors d'une de ces journées qu'ils ont reconsidéré la candidature de Pierre-Luc Funk pour le rôle de Martin. «Il ressemblait à notre vision du personnage du grand Pete. Lors d'un échange de rôles pour un jeu de réplique, il s'est imposé par son naturel, sa capacité d'improviser et, surtout, la caméra l'adorait», se souvient-elle. Depuis, il a décroché le rôle principal de Tactik, la série qui remplacera Ramdam, dès janvier, à Télé-Québec. «Le danger avec la télé, c'est que les jeunes y perdent ce naturel grâce auquel on est tombé amoureux d'eux. Le silence et l'introspection, ils ne connaissent plus», se désole-t-elle en admettant que les jeunes qui désirent travailler sur une base régulière doivent se tourner vers le petit écran.

> Philippe Falardeau, réalisateur de C'est pas moi, je le jure! a choisi Antoine L'Écuyer

Pour son adaptation du roman de Bruno Hébert, Philippe Falardeau (Congorama) recherchait un enfant qui avait des tendances autodestructrices, un regard ténébreux, de la répartie et une certaine gravité. «J'ai découvert qu'à 10 ans, les jeunes comprennent les enjeux psychologiques. Ils sont capables de réfléchir sur le senti sans s'arrêter uniquement sur l'action.» En compagnie de la directrice de casting Emmanuelle Beaugrand-Champagne, le cinéaste a auditionné une première fois Antoine L'Écuyer, puis l'a revu deux fois pour des rencontres plus poussées. Il avait son Léon Doré. «Antoine, c'est la boîte à surprise du film», résume-t-il. «Il apparaît dans 90 % des plans.» La difficulté de tourner avec des enfants, selon Philippe Falardeau, réside dans le ton «chanté» qu'ils adoptent parfois alors qu'ils doivent livrer des répliques «adultes» et des dialogues très scénarisés pour leur âge. «Je travaille alors à l'ouïe sur le tournage. Si je ferme les yeux et que je n'y crois pas, je recommence, même si le geste est convaincant.» Philippe Falardeau ignore si Antoine fera carrière - «le talent et le rendu changent vite à ce jeune âge» - , mais il fantasme, avec Bruno Hébert, à l'idée de tourner une suite dans sept ou huit ans avec le même personnage. À suivre. * C'est pas moi, je le jure! est présenté au Festival international du film de Toronto aujourd'hui. À l'affiche le 26 septembre à Québec.

> Frédéric D'Amours, réalisateur de Noémie, a choisi Camille Felton

Comme il tournait simultanément la suite de la télésérie Miss Météo et Noémie, son film familial avec la petite Camille Felton, huit ans, Frédéric D'Amours avoue qu'il disposait moins de ce luxe qu'il recherche avec les jeunes : le temps. «Un tournage de 29 jours, c'est court lorsque je dirige des petits avec lesquels je développe un langage particulier, à leur niveau», explique le réalisateur de À vos marques, party! «Sur le plateau, je dois prendre le temps de les mettre en position et leur donner des directives claires et précises comme «déplace-toi sans te retourner»», précise-t-il, indiquant que la comédienne Louise Laparé, coach de Camille, l'a encadrée dans la préparation de son rôle et l'apprentissage de ses textes. Tourner les scènes détachées s'avère aussi une difficulté supplémentaire pour les petits apprentis. «L'effort d'imagination est plus grand. Mais Camille m'a impressionné par sa curiosité et ses «pourquoi» en boucle. Grâce à ses questions, elle a parfaitement saisi son rôle, d'où plusieurs «petits miracles» sur ce tournage.»