Il n'y a pas si longtemps, la seule idée de rencontrer quelqu'un de célèbre le terrifiait au plus haut point. Aujourd'hui, Charlie Kaufman est non seulement une célébrité en son genre, mais il a confiance en lui-même au point de réaliser Synecdoche, New York, son premier long métrage. 

Le premier scénario, écrit il y a 10 ans à peine, en a fait une star incontestée. Being John Malkovich, que Spike Jonze a mis en scène, a tout de suite imposé Charlie Kaufman parmi les esprits les plus originaux du monde du cinéma. Ce grand timide, qui tournait dès l'enfance des petits films en Super 8 (tout en découvrant sa vocation artistique dans une pièce montée quand il était en troisième année), a écrit quatre autres longs métrages depuis. 

Parmi lesquels Adaptation (Spike Jonze) et Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Michel Gondry, réalisateur aussi de Human Nature).
«Il ne me serait jamais venu à l'esprit de porter à l'écran moi-même ces scénarios, déclarait Kaufman au cours d'une entrevue accordée à La Presse dans le cadre du Festival de Toronto. Je ne me serais tout simplement pas senti prêt à franchir le pas. Il n'y a pas si longtemps, j'avais même de la difficulté à rencontrer des gens, surtout s'ils étaient célèbres. Je me souviens encore du malaise que j'ai ressenti quand j'ai su que je devais rencontrer Meryl Streep à l'époque d'Adaptation. J'étais terrifié. J'en avais des sueurs froides! Loin de moi était alors l'idée de mener un projet, encore moins de diriger des gens!» 

Un peu comme le font les personnes atteintes de différentes phobies, Kaufman a confronté étape par étape ses insécurités.
«Meryl Streep, je l'ai plus tard dirigée au théâtre. Et cela s'est bien passé. Ce fut pour moi une victoire énorme. J'ai alors pu commencer à me bâtir une confiance. Au point où j'ai pu me faire à l'idée de réaliser un film moi-même. Je ne pourrais plus revenir en arrière maintenant, je crois. J'ai été admirablement bien servi par les cinéastes qui ont porté mes scénarios à l'écran, mais il me semble que j'aurais dorénavant du mal à confier mes scripts à quelqu'un d'autre. Non pas que je peux faire mieux. Mais je peux le faire moi-même, avec ce qui compose mon univers dramaturgique.» 

Malaise existentiel
Être essentiellement angoissé, Kaufman n'hésite pas à centrer son univers créatif autour des préoccupations qui l'animent. C'est d'évidence le cas avec Synecdoche, New York, un film qui, de l'aveu même de sa tête d'affiche, Philip Seymour Hoffman, est impossible à résumer, sinon par un malaise existentiel dont on aurait du mal à préciser la nature. 

Prêtant ses traits à Caden, Hoffman incarne pour Kaufman un metteur en scène de théâtre de banlieue atteint de symptômes de plus en plus inquiétants à mesure que sa vie personnelle s'écroule, femme et enfant ayant quitté le domicile pour aller se refaire une vie ailleurs. 

Il décide alors de se consacrer entièrement à un projet d'envergure. Rassemblant quelques comédiens, il réquisitionne un entrepôt, fait construire une «ville». Il demande à ses acteurs de «célébrer» le quotidien en les faisant vivre une vie artificielle au beau milieu de décors en carton-pâte. Dix-sept ans plus tard, le «spectacle» est encore à régler. Et n'a jamais été montré devant le moindre spectateur... 

«Je ne sais pas d'où viennent mes idées, explique Kaufman. J'écris tout simplement sur des thèmes qui me préoccupent. Au moment où j'ai écrit Synecdoche, cela tournait pas mal autour du fait de prendre de l'âge et de tout ce que cela entraîne, notamment la maladie. C'est ce à quoi j'ai pensé en écrivant. Et voilà le film que ça donne!»
Kaufman revendique d'ailleurs farouchement la nature indépendante de son film. Il estime en outre que le cinéma d'auteur traverse actuellement une période difficile. 

«Il y a maintenant plein de «faux» films indépendants, c'est-à-dire, des films issus des branches spécialisées de studios, qui se déguisent en indépendants, explique-t-il. Dans mon esprit, un vrai film indépendant, comme n'importe quelle oeuvre d'art, est issu de l'imagination d'un créateur, dans un élan d'urgence et de sincérité, sans égard à sa viabilité commerciale.» 

L'auteur cinéaste estime que le public a aussi son mot à dire sur ce plan.
«Si on veut que des productions plus originales puissent se distinguer des superproductions hollywoodiennes, il faut les soutenir en allant les voir. C'est aussi simple que ça! Sinon, tout deviendra pareil, homogène. Cela ne m'apparaît pas très souhaitable.» 

Synecdoche, New York prend l'affiche en version originale anglaise le 14 novembre.