Il s'appelle Vincent L. Il est homme d'affaires, banquier, capitaliste ou spéculateur. Voleur, fraudeur, disent les petits épargnants. À ses filles, il révèle tout. Avec beaucoup d'humour et d'ironie, Robert Morin tend, dans Papa à la chasse aux lagopèdes, la caméra à un homme dépassé par ses confessions, joué par François Papineau.

Entre la fable et la confession, Vincent Lemieux, pris en fraude, se filme au cours de sa fuite vers la baie James et des cieux plus cléments. «Quand tu imagines que le chemin le plus simple que ce gars imagine pour se sortir de là, c'est de passer par la baie James, ça t'en dit long sur son enlisement!», rit Robert Morin.

«C'est un film extrêmement métaphorique. Ce qui arrive au personnage physiquement lui arrive dans la tête», poursuit-il. En deux jours, il quitte ville, villa et confort pour se retrouver coupé du monde, à la baie James, en plein hiver. En attendant l'avion qui le conduira aux Bahamas, Vincent Lemieux s'épanche, auprès de ses filles, sur la responsabilité des «petits épargnants» tout en chassant les lagopèdes.

«Ce personnage, on l'a voulu complexe, charmeur. Il parle à ses enfants comme il parlait aux petits épargnants: il les a séduits», note Robert Morin. Au mieux de sa forme, Lemieux-Papineau explique les rudiments de la finance à ses filles. Ou comment les petits épargnants veulent plus d'argent, sans se soucier de la façon dont ils le gagnent.

«C'est bien de voir quelqu'un qui n'est pas uniquement noir. C'est un monstre que l'on croise tous les jours. C'est important, ce personnage a quand même des valeurs familiales. C'est ça qui est fucké: les méchants sont pas reconnaissables. Moi, j'ai plus peur de voir un homme en habit qu'un homme avec une scie à chaîne», croit de son côté François Papineau.

Vincent Lemieux est un homme seul face à lui-même. Pour l'interpréter, François Papineau s'est lui aussi retrouvé seul face à la caméra. «La quantité de job que c'est! souligne Robert Morin. Imagine, Cyrano, y en a du texte! Là, y en avait autant, sauf que François parle tout seul, sur 20 jours! Imagine le vertige... J'en connais pas de job aussi compliquée pour un acteur. Le scénario fait 95 pages, que du texte de Vincent!»

Seul, donc, François Papineau a aussi dû affronter les températures hivernales de la baie James. «C'est un truc que j'aime faire: j'ai pas travaillé souvent avec des acteurs. Mais l'idée de les mettre dans des contextes extrêmes, ça fait peut-être des rencontres. Il y a des distanciations qui se font. Il y a un mélange entre l'homme et l'acteur», croit Robert Morin.

Le réalisateur revendique encore le droit de n'être ni complètement dans la fiction ni complètement dans le documentaire. «Documentaire, fiction, c'est la même chose: du cinéma. C'est l'interprétation de la réalité. La réalité n'est rien d'autre que ce que tu en fais. Dans le fond, on est toujours seuls.»

Inspiré par l'affaire Norbourg et l'homme d'affaires Vincent Lacroix, Robert Morin a tourné son road-trip l'hiver dernier, en 20 jours, avec une équipe réduite. Pour son plus grand plaisir, le réalisateur renouait, Après Que Dieu bénisse l'Amérique, avec «le p'tit kodak», c'est-à-dire les petites caméras.

«La vidéo, pour moi, c'est pas de la grosse caméra. C'est du p'tit kodak. La souplesse de ce petit truc-là... Tu fais une prise, tu revires le viseur et tu peux regarder si ça marche... C'est magique, estime Robert Morin. Et c'est un peu ma marque de fabrique.»

Comme pour Petit Pow! Pow! Noël ou Requiem pour un beau sans-coeur, Robert Morin affranchit le spectateur de toute pensée en kit dans Papa à la chasse aux lagopèdes. «Pour moi, filmer, ça sert à poser des questions. Ça ne sert pas à donner des réponses. Lagopèdes montre une situation, un personnage. Interprète-le comme tu veux. Tires-en tes conclusions», dit-il.

____________________________________________________________
Papa à la chasse aux lagopèdes prend l'affiche demain.