Suzanne Clément me donne rendez-vous à la Brasserie Rousseau, dans Rosemont. La comédienne, que l'on a vue cette année dans C'est pas moi, je le jure! de Philippe Falardeau, est porte-parole des 27es Rendez-vous du cinéma québécois, qui auront lieu du 18 au 28 février. L'interprète de Sophie Paquin aura 40 ans dans quelques mois...

Marc Cassivi: Savoir que tu auras bientôt 40 ans te fait quoi?

Suzanne Clément: Inconsciemment, c'est comme un deadline dans ma tête. Depuis trois ou quatre ans, j'ai l'impression de galoper. Comme si tout s'arrêtait à 40 ans et qu'il fallait que j'aie tout fait avant d'y arriver. Il faut dire que l'horloge biologique tourne. Je n'ai pas encore d'enfants...

M.C.: Tu en veux?

S.C.: J'aimerais ça en avoir, oui.

M.C.: L'an dernier, je suis sorti de la fameuse fourchette des 18-34 ans, qu'aiment bien les sondeurs. Je ne peux plus dire que je suis jeune.

S.C.: Dans ma tête, je me sens encore jeune. J'ai des amis jeunes. Pour ma fête l'an dernier, j'ai mis une petite jupe courte, avec de gros talons, pour aller déjeuner. J'avais envie de sentir que c'était encore possible. L'amie de 26 ans avec qui j'étais m'a dit: «T'as des belles jambes pour ton âge!» (rires)

M.C.: Le truc, c'est plutôt de s'entourer d'amis plus vieux...

S.C.: C'est vrai. Je vis les deux, parce que j'ai aussi des amis plus vieux qui me disent: «Attends d'avoir 50 ans!» Mais je me sens plus vieille dans le regard des jeunes.

M.C.: Quand j'avais 25 ans, je trouvais que les gens de 40 ans étaient vieux. Mais même si j'approche de la quarantaine, quand je vois des gens de 25 ans, j'ai l'impression qu'on a à peu près le même âge. Tout est question de perspective.

S.C.: Moi aussi! C'est absurde.

M.C.: J'ai l'impression que parce que tu as été connue récemment du grand public, tu vas pouvoir traîner ton étiquette de «jeune» plus longtemps.

S.C.: C'est bon ça!

M.C.: Dans tous les articles que j'ai lus sur toi, l'adjectif qui revenait le plus souvent est «pétillant» ...

S.C.: Je suis tannée, tu penses? «Pétillant». Il y a «rafraîchissant» aussi.

M.C.: Pétillant et rafraîchissant, comme un 7 Up!

S.C.: (Rires) Ça devient amusant. Plus jeune, je trouvais ça souffrant de me faire dire que j'avais «donc l'air jeune».

M.C.: Tu avais hâte d'être prise au sérieux.

S.C.: Oui. Aujourd'hui, ça fait plutôt plaisir. Même si je trouve ça drôle, «pétillante»...

M.C.: Ça te permet de jouer des rôles de 25 à 45 ans.

S.C.: Peut-être au théâtre, mais plus à la télé.

M.C.: J'ai compris cet hiver en faisant du sport pourquoi les joueurs de hockey prennent leur retraite à 35 ans...

S.C.: C'est intéressant de le réaliser à notre âge. Ma mère me dit souvent, depuis une dizaine d'années, qu'il faut qu'elle accepte que son corps a des limites. Je suis allée à Toronto avec un ami de 18 ans. Un soir, on a bu. Le lendemain, il s'est réveillé plein d'énergie, comme une mouche que j'avais envie d'étamper dans le mur. J'étais tellement poquée.

M.C.: Je suis sûr que c'est à ton avantage d'être arrivée, je ne dirais pas sur le tard, mais récemment dans l'oeil public. J'ai appris que Juliette Binoche n'avait que 44 ans, et elle a beau ne pas avoir l'air plus vieille, j'ai été surpris qu'elle n'ait que 44 ans tellement il y a longtemps qu'on la connaît.

S.C.: J'ai lu l'entrevue qu'elle a donnée à Ève Dumas (jeudi dernier, dans le cahier Mode) sur la beauté et le fait de vieillir. C'était intéressant.

M.C.: On sentait qu'elle avait bien réfléchi au sujet. Elle était particulièrement éloquente.

S.C.: Il y avait toute une allégorie sur le bouquet de fleurs qu'est la femme. Quand on est jeune, on n'y goûte pas assez. Je dis à mes amies plus jeunes: «Vous êtes belles, profitez-en!» J'ai mis tellement de temps à trouver mon corps beau. Je me dis que j'ai raté tellement d'années. C'est absurde. Quand je vais avoir 70 ans, j'espère que je vais regarder ce que je suis en ce moment et trouver que j'en ai profité. Les femmes de mon âge, ce sont les hommes plus vieux qui les trouvent belles. Dans le regard des jeunes, une femme de 40 ans, c'est une madame! Alors que les hommes en vieillissant deviennent de plus en plus séduisants.

M.C.: C'est rassurant. Ça me console d'avoir de plus en plus de cheveux gris! (rires)

S.C.: George Clooney, Richard Gere, ce sont des icônes. Même Brad Pitt commence à bien vieillir. Mais c'est beaucoup plus difficile de vieillir pour les femmes. Beaucoup d'hommes trippent sur les jeunes. Les femmes de 50 ans que je connais, qui sont célibataires, ne trouvent pas facile de se trouver un chum.

M.C.: Vieillir pour toi est une inquiétude ou tu le vis sereinement?

S.C.: J'en prends davantage conscience. Pour la première fois de ma vie, par moments, j'ai peur de vieillir. C'est correct. Mon corps change. Et ça n'ira qu'en empirant! (rires) Je me demande ce que je vais valoriser pour rester allumée, heureuse, épanouie. Est-ce qu'être comédienne va suffire? Je trouve que ça mérite réflexion. Je ne sais pas si je serai comédienne toute ma vie. Je ne l'ai jamais su. Et je pense que je ne le saurai jamais. Parfois, franchement, ça m'ennuie...