La sortie de Dédé à travers les brumes représente l'aboutissement d'un travail de recherche et d'écriture colossal pour Jean-Philippe Duval. Pour son second long-métrage, le réalisateur de Matroni et moi a multiplié les entrevues avec les proches du regretté chanteur des Colocs pendant trois ans.

Et comme Dédé Fortin pour la gestation de l'album Dehors novembre, il s'est isolé dans un chalet pendant plusieurs semaines afin de pondre le scénario.

Le cinéaste originaire de Québec n'était pas un ami ou un intime de Dédé Fortin. Leur route s'était croisée, le temps d'une soirée, en 1990, lors de la présentation de son documentaire sur l'écrivain Réjean Ducharme. Ils avaient passé la soirée à parler de cinéma. C'est le souvenir de cet artiste fougueux, à la curiosité insatiable, qui lui est revenu en mémoire à l'annonce de sa mort, il y a neuf ans.

Lorsque le producteur Roger Frap­pier a proposé à Duval une idée de film sur la vie et l'oeuvre de Fortin, comme le comédien Sébastien Ricard, il a immédiatement éprouvé un grand scepticisme. Comment faire un film sur un chanteur aussi intense, aussi engagé, au destin si tragique, de surcroît encore si frais dans les mémoires?

«C'était audacieux, périlleux, carrément casse-gueule, convient le cinéaste. La mort de Dédé avait été un deuil immense pour tout le Québec. En même temps, je me disais que s'il y a bien un lieu qui permet encore la réflexion, c'est le cinéma. Les Américains y revisitent régulièrement leur histoire, même récente. Denis Villeneuve vient de prouver qu'il est possible de le faire ici avec Polytechnique. Je crois que c'est une façon de guérir nos blessures.»

La solitude de l'artiste

Dédé à travers les brumes (titre inspiré d'un vers de Baudelaire) est articulé autour d'une double trame chronologique. Le récit multiplie les allers-retours dans le temps, entre la difficile création de l'album Dehors novembre, alors que le chanteur et ses Colocs s'étaient retirés en plein hiver, dans une maison isolée de Saint-Étienne-de-Bolton, en Estrie, et la montée du groupe vers la gloire.

L'arrivée de Fortin à Montréal, sa rencontre marquante avec l'harmoniciste Pat Esposito (Dimitri Storoge) et son gérant Raymond Paquin (Louis Saïa), les premiers balbutiements des Colocs, les deux amours de la vie de Dédé (Bénédicte Décary et Mélissa Désormeaux-Poulin), le lancement de l'album Atrocetomique, le soir du référendum de 95, la mort de Pat, tout y est ou presque. Sans oublier ses angoisses, sa musique née dans la douleur, son incapacité à composer avec les questions existentielles sur la vie, l'amour, la mort...

Un personnage  à la Ducharme

«Dédé Fortin avait quelque chose des personnages de Réjean Ducharme, explique le cinéaste. C'état quelqu'un très près de l'enfance et de l'adolescence. Grandir, c'est se transformer, faire des compromis, s'engager en amour. Mais Dédé était un adulte qui refusait de grandir. Il avait peur de perdre ses illusions. Comme un adolescent, il voulait aimer à tout jamais.»

De l'avis de Duval, un autre aspect méconnu de Dédé Fortin était sa difficulté à composer avec la gloire qui venait avec le succès. Il aurait aimé que le public voit autre chose en lui que la vedette. «Il trouvait très difficile d'être un personnage public. C'était un personnage à couches multiples, sauf que les gens n'en voyaient qu'une.»

Du florilège de chansons qui parsèment Dédé à travers les brumes, une seule n'est pas des Colocs. Il s'agit de Nataq, de Richard Desjardins, insérée dans le film alors que Fortin se remet péniblement de la défaite crève-coeur du Oui au référendum. Duval explique : «Il n'y avait personne à qui Dédé vouait autant d'admiration. Quand il l'avait entendue (Nataq) pour la première fois, il avait dit à sa blonde : «J'arrête d'écrire et de faire de la musique. Je pourrai jamais accoter ça...»

Un grand sensible

Quant à son destin tragique, au-delà de toutes les recherches qu'il a pu faire, Jean-Philippe Duval a bien du mal à l'expliquer. Un peu comme tout le monde.

Peu de temps avant son suicide, des gens de son entourage lui ont «tendu des perches», avance Duval. «Sa copine de l'époque a bien essayé de le convaincre de se faire soigner à l'hôpital, mais il lui a dit : T'es malade. Imagine, le chanteur des Colocs interné. Ça va être partout dans les journaux. Il ne pouvait pas concevoir ça.»