En janvier 2004, la télésérie Grande Ourse marquait un tournant dans l'histoire de la télé québécoise en proposant un univers fantastique peuplé d'une galerie de personnages mystérieux. La suite, L'héritière de la Grande Ourse, devait con­naître un aussi grand succès.

Avec ses cotes d'écoute millionnaires et ses 20 prix Gémeaux, la série commençait à se sentir un peu à l'étroit au petit écran, d'où l'idée d'une transposition au grand écran. Cette suite, Grande Ourse : la clé des possibles, à l'affiche la semaine prochaine, s'inscrit toutefois dans une intrigue indépendante de la télésérie, histoire de rallier tout à la fois les irréductibles et les néophytes.

«C'était une condition sine qua non pour le financement, explique le scénariste Frédéric Ouellet. Il était important que ce ne soit pas un film pour initiés seulement. Même ceux qui ne connaissent pas la télésérie vont y trouver leur compte. Tout comme ceux qui n'ont pas vu Dr. No peuvent apprécier Goldfinger.»

En cela, poursuit-il, «il était important de faire la coupure en revenant avec le minimum de personnages de la télésérie pour vraiment sentir la nouvelle aventure indépendante».

Au trio-vedette Lapointe-Biron-Béliveau (Marc Messier, Normand Daneau et Fanny Mallette), de nouvelles figures sont venues s'ajouter : Evelyne O'Neal (Maude Guérin), pour qui en pince Louis-Bernard Lapointe, l'intrigant professeur Charles Foucault (Frédéric Gilles) et sa femme Christine (Gabrielle Lazure), la sorcière Centenaire (Monique Mercure)...

Plus exigeant

Pour le réalisateur Patrice Sauvé, qui signe son deuxième long-métrage après Cheech, le saut Grande Ourse au cinéma s'est avéré un défi de tous les instants, particulièrement sur le plan technique. La télésérie, explique-t-il, portait en elle des éléments cinématographiques qu'il fallait tenter d'amener plus loin.

«Le processus de fabrication du film a été plus exigeant», précise Sauvé, lui-même un grand fan du classique Excalibur, de John Boorman. «Il y avait énormément de challenges techniques. Tu ne pouvais rien échapper afin de garder l'intérêt du spectateur, rendre le récit crédible, tout en conservant le même humour. En même temps, il fallait aller plus loin que la télésérie. [...] Le souffle narratif n'est pas le même. À la télé, il y a des pauses publicitaires, des personnages qui permettent de récapituler ce qui s'est passé avant, ce n'est pas le cas au cinéma.»

Le récit de «ces trois ti-counes qui se débattent avec des forces occultes» demandait donc un scénario «plus vaste et plus ample». «Il fallait que chaque plan, du premier au dernier, possède une for­ce narrative, poursuit Sauvé. Il fallait ouvrir les coudes, donner de l'envergure au récit.»

Rien de simple

L'idée de ressusciter Grande Ourse au grand écran s'est imposée dans la foulée de la disparition des séries lourdes à Radio-Canada. «On ne voulait pas la voir mourir, on était très attachés à ce monde», explique le scénariste.

Une rencontre avec le patron d'Alliance, Patrick Roy, grand fan de l'oeuvre, a permis de lancer le projet cinéma et d'attacher les ficelles du financement de ce film de 5,7 millions $. En comparaison, chaque épisode télé revenait à 800 000 $.

«Il n'y a jamais rien de simple dans le film, avance Sauvé, que ce soit le découpage ou la façon de raconter. Ça nécessitait une envergure narrative.»

Normand Daneau: le corps se souvient

Quatre ans plus tard, Normand Daneau n'a pas pris longtemps à se remettre dans la peau d'Émile Biron, le journaliste à l'esprit débonnaire et naïf de la télésérie Grande Ourse. «C'est un personnage que je con­nais très bien. Je suis vite retombé dans ses bottines. Les tics, la posture physique... le corps se souvient», glisse-t-il d'entrée de jeu au Soleil, à une semaine de la sortie en salle de Grande Ourse : la clé des possibles.

La télésérie, diffusée en janvier 2004 et 2005, portait déjà en elle un univers cinématographique, alors rien de plus normal que de voir cet «objet fantastique» faire le saut au grand écran, ajoute le comédien originaire de Québec. «Grande Ourse avait déjà un style associé au cinéma. Quelque part, on a fait le chemin inverse.»

Pour les besoins de cette nouvelle mouture, son personnage de Biron se retrouve dans de beaux draps, au coeur d'un monde parallèle, dont l'énigme réside dans la «Clé des possibles», un objet porteur de pouvoirs magiques. Son meilleur ami, Louis-Bernard Lapointe (Marc Messier), fera tout en son pouvoir pour la retrouver. La policière Gastonne Béliveau (Fanny Mallette), qui partage sa vie avec Biron (et une agence de détectives privés), espère plus que tout son retour dans le monde réel.

«Émile Biron évolue davantage dans le film, il éprouve davantage d'émotions, mais en même temps, ça reste un personnage monolithique, ajoute-t-il. C'est le type de service, celui qui sert de trait d'union entre le spectateur et l'intrigue, l'alter ego du spectateur le plus sceptique assis dans la salle. C'est l'acolyte du héros, le Watson de Sherlock Holmes, le Robin de Batman.»

Pas besoin d'avoir été un spectateur assidu de la télésérie pour savourer l'adaptation cinématographique, croit Daneau. «Le film est autonome et existe indépendamment de la série. Ce qui ne l'empêche pas de faire quelques clins d'oeil à ceux qui connaissent bien le récit.»

Allégorie et métaphore

Le Vincent de la télésérie culte La Vie la vie est d'autant plus à l'aise d'évoluer dans l'univers inusité du scénariste Frédéric Ouellet et du réalisateur Patrice Sauvé qu'il est lui-même un grand fan de cinéma fantastique. Mais pas n'importe lequel.

«J'aime le fantastique qui joue sa fonction première, celle de servir d'allégorie, de métaphore, de poésie. La caverne de Platon, Jésus qui marche sur les eaux, quelque part, c'est du fantastique. On quitte la réalité pour faire passer une pureté de message qui va au-delà du temps.

«Le cinéma espagnol, poursuit-il, a emprunté au cinéma fantastique pour panser ses plaies, exorciser ses démons liés à la période franquiste. Je pense à The Others et au Labyrinthe de Pan. Avec des budgets restreints, il fait preuve d'innovation.» À la différence du cinéma américain qui, lui, préfère «noyer le fantastique dans les effets spéciaux».

Le diplômé du Conservatoire d'art dramatique en 1992 sera de retour au grand écran, le mois prochain, à l'occasion de la sortie du drame Suzie, de Micheline Lanctôt, où il partage la vedette avec la réalisatrice, Pascale Bussières et Gabriel Gaudreault.

Pour la suite des choses, le comédien compte consacrer le plus temps possible à son poupon de cinq mois. À coup sûr, le fantastique ne sera encore jamais très loin...  Normand Provencher

 

Grande Ourse : la clé des possibles sera présenté en avant-première, mercredi soir, 20h, en ouverture du Festival de cinéma des 3 Amériques. Pour l'occasion, Marc Messier, Normand Daneau, Fanny Mallette, Maude Guérin, Patrice Sauvé et Frédéric Ouellet fouleront le tapis rouge de Place Charest.