Du premier scénario à sa sortie en salle, un film québécois doit passer par plusieurs étapes afin de financer sa production.

L'équipe de Grande Ourse: la clé des possibles a accepté de raconter à La Presse les multiples allers-retours qu'il a fallu répéter entre Téléfilm Canada et la SODEC avant de pouvoir tourner. Pour reprendre l'expression du producteur André Monette, il s'agit d'un partenariat PPP pour «passion, persévérance et patience».

Nous sommes en 2004. Le président du distributeur Alliance Vivafilm, Patrick Roy, siège au conseil d'administration de l'INIS aux côtés du professeur et producteur de Grande Ourse, André Monette. M. Roy est un fan fini de la série. Après plusieurs essais, il convainc M. Monette d'en faire un film.

Le producteur est heureux à l'idée de «retrouver sa petite équipe»: Frédéric Ouellet à la scénarisation, Patrice Sauvé à la réalisation et Myriam Pavlovic, qui agit à titre de conseillère à l'écriture.

Silence, on tourne? Pas aussi simple que ça. Comme la grande majorité des longs métrages québécois, il fallait que le projet soit financé à la fois par Téléfilm Canada et la SODEC.

Au début de 2005, l'équipe obtient une bourse d'aide au développement. Le projet sera déposé à la fin de l'année devant les institutions. Mais en février 2006, l'équipe de Grande Ourse se faire dire non, tant du côté fédéral que du côté provincial.

«La SODEC avait des craintes à propos du fait que Grande Ourse avait d'abord été une série, raconte André Monette. Elle ne voulait pas créer un précédent. Il a fallu insister sur le fait que c'était une oeuvre originale.»

De son côté, Téléfilm pouvait seulement financer quatre des 32 projets de films qui lui avaient été soumis. Et Grande Ourse est arrivé... au cinquième rang. «Dans le volet comparatif de la trentaine de projets présentés, une dizaine a le droit de se représenter au prochain tour, explique M. Monette. On nous a donc dit de revenir six mois plus tard.»

Reste que les analystes de Téléfilm étaient «polarisés», indique André Monette. «L'organisme avait peur que l'histoire soit trop compliquée.»

Pas question de se décourager. «On n'avait pas intérêt à ne pas les écouter.» Et «qui a un oui tout de suite, à part Denys Arcand»?

D'autant plus qu'il se fait peu de films de genre fantastique au Québec. «Ce sont des comités qui décident, souligne le scénariste Frédéric Ouellet. Personne ne va dire: je n'aime pas les comédies dramatiques. Mais il y en a un qui va te dire: je n'aime pas le fantastique. Tu pars avec une prise.»

Quelques mois plus tard, c'est le début de la crise du financement qui va ébranler le cinéma québécois pendant six mois. Téléfilm dit encore non à Grande Ourse. Quant à la SODEC, qui obtient une aide d'urgence de 10 millions du gouvernement provincial, elle privilégiera des films à budget plus modeste.

Quand la bande d'André Monette se présente pour la troisième fois devant Téléfilm, en février 2007, c'est justement le budget du film qui agace cette fois le comité d'analystes. Dernière mission pour le producteur: ramener la facture totale du film de 6,7 à 5,7 millions. Heureusement, la SODEC donne son aval au projet quelques jours plus tard.

«On a enlevé un personnage et une sous-intrigue, ce qui a permis de réduire le nombre de jours de tournage et le budget, raconte M. Monette. Du coup, on a également rendu l'histoire plus limpide.»

Frédéric Ouellet a donc enlevé «un méchant» à son scénario. «C'est un défi créatif, souligne-t-il. C'est comme un puzzle. Si je déplace ça, il faut que je replace ça. Quand tu enlèves un bloc, tout dégringole. Il faut repasser sur l'ensemble à chaque fois.»

Est-ce frustrant parfois? «Mon processus créatif est bien adapté. Je réécris toujours une histoire 10 ou 15 fois. C'est pour moi un mode d'exploration.»

«Au début, c'est dur de te faire dire non et de ne pas pouvoir y mettre tout ton coeur parce que tu n'as pas le go, poursuit le réalisateur Patrice Sauvé. Dans ce système-là, c'est un an de ta vie qui se fait ou qui ne se fait pas.»

La «structure bureaucratique» est plus rigide au cinéma qu'à la télévision. «Avec une série, tu commences à tourner et tu réécris encore des épisodes. Pour un film, les institutions voient le scénario sur la table comme celui que tu vas tourner.»

Mais Sauvé insiste: il se compte chanceux de faire des films financés grâce à l'argent des contribuables.

Si son équipe a essuyé trois refus de Téléfilm et deux de la SODEC, le producteur André Monette n'a jamais baissé les bras. «Chaque fois, on nous disait: représentez-vous à la prochaine ronde. Pour moi, c'était trop positif pour qu'on se décourage. Tu as le choix d'en vouloir aux institutions, mais quel temps inutile... Il faut se dire: et si elles avaient un peu raison...»

M. Monette ajoute toutefois un point: «Chaque fois, le producteur doit remonter le moral de tout le monde. Mais lui, quand il rentre à la maison, il n'a pas d'épaule sur qui se consoler!» blague-t-il.

Car si le producteur a terminé le montage financier de Grande Ourse en juin 2007, la préproduction a pu commencer seulement neuf mois plus tard. Les comédiens n'étaient pas libres: Marc Messier devait tourner Le grand départ et Les Boys, alors que Normand Daneau jouait dans Les étoiles filantes et Fanny Mallette au théâtre.

«Des gens croyaient au projet avec nous», conclut André Monette.

1. Décembre 2004

Patrick Roy, le président du distributeur Alliance Vivafilm, finit par convaincre le producteur André Monette de faire de la série télévisée Grande Ourse un film.

2. Début 2005

L'équipe de production de Grande Ourse obtient une bourse d'aide au développement de Téléfilm Canada.

3. Février 2006

Le projet de film essuie un premier refus de la part de la SODEC. Le tournage ne pourra débuter à l'été 2006 comme prévu.

4. Mars 2006

Téléfilm Canada refuse de financer le film à son tour. Pas question de se décourager. L'institution fédérale finance quatre longs métrages, et Grande Ourse figure au cinquième rang parmi ses choix.

5. Juin 2006

Téléfilm rejette le projet pour la deuxième fois. Selon le producteur André Monette, les avis des analystes du comité de sélection sont «polarisés». Il faut ajouter que, à l'époque, Téléfilm lance un cri d'alarme au gouvernement Harper: c'est le début de la crise de financement du cinéma québécois.

6. Novembre 2006

La SODEC rejette pour la deuxième fois le projet de Grande Ourse. La situation était prévisible puisque le budget du film - trop élevé - ne respectait pas les critères d'attribution de l'aide d'urgence accordée à l'époque par le gouvernement provincial.

7. Février 2007

Troisième et dernier refus de Téléfilm Canada. Le point principal du projet qui est remis en question est le budget de Grande Ourse: il devra passer de 6,7 à 5,7 millions. Résultat: un personnage secondaire sera retranché du scénario.

8. Février 2007

La SODEC donne son aval après le «non» de Téléfilm. «C'est une situation assez courante, cela veut dire qu'il faut refaire une demande et espérer une réponse positive», commente alors André Monette.

9. Juin 2007

Le quatrième essai sera le bon. Téléfilm Canada financera la production de Grande Ourse. Mais la préproduction ne pourra débuter que neuf mois plus tard, car les comédiens principaux ne sont pas libres.

10. Mai 2008

Silence, on tourne!

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Grande Ourse - La clé des possibles prend l'affiche aujourd'hui.