Des centaines de Saoudiens ont défié un petit groupe de protestataires ultra-conservateurs samedi soir à Ryad pour assister à la projection publique d'un film commercial, une première depuis quelque trois décennies dans la capitale saoudienne.


Sacs de pop-corn salé et boissons gazeuses sur les genoux, plus de 300 spectateurs, tous des hommes, rassemblés dans le vaste centre culturel du Roi Fahd ont acclamé, sifflé et applaudi à tout rompre lorsque les premières images du film Manahi sont apparues à l'écran et que la musique a retenti dans la salle.


«C'est le début du changement», a commenté Ahmed Al-Mokayed, un étudiant venu voir le film en compagnie de son frère et d'un cousin.
Abdel Mohsen Al-Mani, un homme d'affaires accompagné de ses deux fils, était carrément enthousiaste.


«C'est la première étape d'une révolution pacifique», a-t-il déclaré à l'AFP. «Je ne veux pas que mes enfants grandissent dans l'ignorance (...). Je leur ai dit qu'ils parleront plus tard de ce jour comme d'une blague.»


Mais le chemin a été long et personne n'a la certitude que ce jour constitue le prélude d'une industrie du cinéma prospère dans ce pays en raison de l'opposition acharnée du clergé ultraconservateur, qui considère le cinéma, la musique et toutes les autres formes de loisirs comme des atteintes à l'islam.


La police a dû maintenir à l'écart un petit groupe d'activistes islamistes venus dénoncer le cinéma comme une source de désastre pour le pays.
Ils ont cité à l'appui de cette thèse une récente série de secousses telluriques de faible intensité dans l'ouest du royaume. «Allah nous punit à cause du cinéma. C'est contraire à l'islam», a lancé l'un d'eux.


Manahi est une comédie sur les mésaventures d'un péquenot qui s'aventure en ville et, plus généralement, sur les malheurs de petits porteurs confrontés aux fluctuations des marchés boursiers.


Ce film saoudien avait été projeté en décembre devant des salles combles à Djeddah, la capitale économique du pays, sur la mer Rouge (ouest), une ville plus ouverte et tolérante que l'austère Ryad.


Son producteur, Rotana, une compagnie à capitaux saoudiens, avait promis que le film serait rapidement projeté dans la capitale.
Mais il a fallu cinq mois pour obtenir l'autorisation du gouvernement, a admis un porte-parole de Rotana, Ibrahim Badei.


Entretemps, des tentatives de projeter le film dans d'autres villes ont été bloquées par les autorités religieuses, accroissant l'enjeu pour la projection de Ryad en raison du caractère très conservateur de cette ville.


C'est pour cela que Rotana n'avait annoncé la projection que vendredi, la conséquence étant que la plupart des gens ne l'ont appris par la presse que samedi, quelques heures avant l'évènement. M. Badei a ainsi parlé de projection «surprise».


Les spectateurs qui avaient fait le déplacement ont estimé que cette initiative donnait espoir aux partisans de réformes en lutte contre le clergé conservateur. «Notre société est prise en otage par ces gens», résume M. Mani.


Le combat est conduit en partie par le propriétaire de Rotana, le prince Al-Walid Ibn Talal, un neveu du roi Abdallah et l'un des hommes les plus riches du monde.
«Il y aura des films et des salles de cinéma (dans le royaume), c'est inévitable», avait-il dit en février.


M. Badei a annoncé au moins trois autres projections de Manahi pour les prochaines semaines et a dit s'attendre à un plus grand nombre de spectateurs, y compris des femmes.
Durant les projections de Djeddah, les femmes étaient séparées des hommes, en application de la stricte ségrégation des sexes en vigueur en Arabie.