Est-ce la mort des vidéoclubs? Plusieurs n'ont pas survécu à l'hiver, révèle un survol de l'industrie réalisé par La Presse. Et la récession n'a apparemment pas grand-chose à voir là-dedans.

La semaine dernière, les clients qui venaient de louer un DVD au vidéo-club La Boîte noire, rue McGill, n'ont jamais pu retourner leur film. Du jour au lendemain, la succursale du Vieux-Montréal s'est retrouvée placardée. «Même la fente de la chute a été scotchée!» raconte un client interloqué.

 

Dans le Village gai, résultat d'un achalandage en chute libre, c'est l'Entrepôt du DVD qui a fermé ses portes au début de l'année. «En parlant aux clients, on sentait que le téléchargement gagnait du terrain. Notre force était les téléséries et le répertoire. Mais aujourd'hui, avec le i Touch, le téléchargement, Illico, les gens n'ont plus besoin de sortir de chez eux. Prendre une marche et aller chercher un film, c'est presque vieux jeu!» constate l'ancienne directrice de ce vidéoclub, Caroline Burdet.

Aujourd'hui, cette mordue de cinéma, qui a passé 10 ans de sa vie dans des vidéoclubs, se rappelle la lointaine et douce époque où une cassette VHS se détaillait à 120 $...

L'Entrepôt du DVD n'est pas le seul vidéoclub à avoir mis la clé sous sa porte vitrée. Sa succursale de l'avenue Duluth a elle aussi souffert des nouvelles habitudes casanières des cinéphiles. Cet hiver, le Movieland du complexe La Cité, le DVD Guy de Dorval et une succursale de Superclub Vidéotron à Verdun ont tous subi le même sort. La chaîne Vidéoself - spécialisée dans la location par système automatisé - a aussi fermé plusieurs de ses succursales montréalaises.

Aux États-Unis, la chaîne Blockbuster, acculée à la faillite, a procédé à une restructuration en mai dernier. Ici, on a perçu le chancellement du géant du DVD en avril, lorsque les magasins Blockbuster ont fait passer de 5,99 $ à 3,99 $ le coût de la location d'un film pour deux jours. Superclub Vidéotron l'a imité, en offrant le même prix (mais pour une journée seulement).

Ce qui a tué les vidéos

Jacques Nantel, spécialiste en comportement des consommateurs et en commerce électronique, est de ceux qui pensent que les jours du DVD loué au vidéoclub du coin sont comptés. «Le temps consacré au visionnement des DVD ou des VHS a diminué systématiquement, dans les deux ou trois dernières années», dit le professeur de HEC Montréal, qui attribue à plusieurs facteurs la désertion des vidéoclubs.

Selon lui, la fermeture (ou l'agonie) récente de plusieurs clubs montréalais n'est pas due au ralentissement économique. «La récession a incité les gens à demeurer davantage à la maison, ce qui devrait avoir un impact positif sur leur consommation de médias», souligne-t-il.

Ce qui a tué les vidéos? Des services comme Illico sur demande, des sites comme flick.com ou zip.ca, le téléchargement légal ou non et l'engouement grandissant pour l'achat de DVD.

Caroline Burdet raconte que si le coût modeste des copies DVD a temporairement fait le bonheur des propriétaires de vidéoclubs - qui pouvaient ainsi offrir à leurs clients des «tonnes de copies» -, ces derniers ont vite été rattrapés par ce cadeau empoisonné. «Lorsque les DVD ont commencé à devenir plus abordables, les gens ont voulu acheter leurs copies. C'est à ce moment-là que nous avons subi une baisse des locations.»

«La télé à la carte et le téléchargement constituent une part infime de tout ce qui est visionné», estime pour sa part François Poitras, président de La Boîte noire, une véritable institution montréalaise dans le domaine de la location de cinéma de répertoire.

D'après lui, la récente fermeture de la dernière née des Boîte noire n'est pas le symptôme de la lente agonie de son secteur. «En 2003, le Vieux-Montréal était un quartier qui s'annonçait prometteur. Mais les gens n'ont pas leurs habitudes d'achat là-bas, puisque ce secteur n'est pas encore identifié comme commercial», explique M. Poitras, qui souligne que ses succursales des avenues Laurier et Mont-Royal se portent encore très bien.

Son secteur d'activité n'est pas en grande croissance, reconnaît-il toutefois. «La concurrence a augmenté depuis trois ou quatre ans, avec l'ouverture de plusieurs clubs indépendants. Et la concurrence vient aussi de la Grande Bibliothèque. Après avoir été en expansion pendant 20 ans, nous plafonnons depuis 2007.»