Comment va le cinéma français au Québec ? Mis à part le populaire festival Cinémania, plutôt mal, merci. Distributeurs, exploitants de salles et analystes d’ici partagent le même diagnostic. À l’occasion de Cinémania, qui se déroule jusqu’au 15 novembre, La Presse fait le point.

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Devinette : quel a été, jusqu’à présent, le film français le plus populaire au Québec en 2009 ? Vous pensez peut-être à une Audrey Tautou en Coco Chanel ? Eh bien ! non. C’est un suspense, en anglais, distribué par Fox et produit par Luc Besson, Taken, qui caracole en tête des entrées de films français ici.


Malgré Taken et ses 3 millions de recettes au guichet, les parts de marché du cinéma français sont en deçà des 4 % au Québec cette année. « Il y a un énorme problème structurel », s’alarme Simon Beaudry, le président de Cinéac, la compagnie qui compile les entrées des cinémas du Québec.


Certains acteurs importants du milieu ont disparu ou changé de vocation par rapport au film français. C’est le cas du plus important distributeur au Québec, Alliance Vivafilm.


« On a réduit nos acquisitions, et on essaie d’y aller sur des films-événements, comme Coco avant Chanel ou L’élégance du hérisson, affirme le président d’Alliance, Patrick Roy. C’est de plus en plus difficile de rentabiliser un film français en salle : sauf exception, ces films ont des revenus en baisse. »


Autre problème : la gourmandise longtemps reprochée aux vendeurs français. « Il y a eu une époque où les distributeurs s’attendaient à beaucoup du Canada français », soutient Marie-Pierre Rodier, la vice-présidente des acquisitions du distributeur Filmoption (Cliente).


« Les prix ont été réajustés : cette époque-là est révolue », répond toutefois Jean-Christophe Beaubiat, chargé d’études pour Unifrance.


Reste que les distributeurs québécois doivent faire face à un autre problème : la vente des titres français pour l’ensemble de l’Amérique du Nord. C’est ainsi, dit-on, qu’Un prophète, de Jacques Audiard, prendra l’affiche au Québec à un moment très favorable aux États-Unis, la course aux Oscars, mais bien après le « buzz » cannois, un moment favorable au marché québécois (le distributeur, Métropole Films n’était pas disponible pour une entrevue). C’est aussi ce qui pourrait expliquer la disparition de la trilogie Mesrine (qu’Alliance refuse de commenter).


« Beaucoup de compagnies françaises veulent vendre à toute l’Amérique du Nord et je trouve ça insultant, croit Patrick Roy. Le Canada représente 10 % du marché américain, mais je suis persuadé que nos droits dépassent 10 %. Mais il y a toujours un espoir de vendre aux États-Unis. Nous faisons les frais du rêve américain et nous perdons le contrôle sur nos films. »

Moins de salles

Confiné aux centres urbains, le cinéma français a disparu des régions. Si le nombre de films français distribués au Québec reste stable, ils sont peu nombreux à bénéficier d’une sortie dite nationale. En 2009, seuls trois titres français ont bénéficié d’une sortie sur plus de 20 écrans : Taken, Coco avant Chanel et OSS 117 : Rio ne répond plus. Or, les succès au box-office passent par les régions.


« Quand on sort un film sur 10 copies, on se dit qu’on est culottés », déplore Marie-Pierre Rodier. Dans ce contexte, la disparition des deux écrans de l’Ex-Centris est « la cerise sur le sundae », constate Caroline Masse, programmatrice du Cinéma Parallèle.


Du côté des multiplexes, les distributeurs souffrent de la concurrence avec les gros canons de Hollywood. « Nos films quittent l’affiche vite, il y a trop de films derrière. D’un autre côté, certains films restent alors qu’ils ne font plus d’argent, seulement pour occuper l’espace », dénonce Louis Dussault, de K-Films Amérique.
Une accusation que balaie d’un revers de main Vincent Guzzo, des Cinémas Guzzo. « On est obligés de garder des films américains, parce qu’il n’y a rien à jouer. Le problème c’est pas la vente, c’est la mise en marché, s’indigne-t-il. Les distributeurs sont désuets dans leur manière de travailler ! »


Les difficultés du film français en salle se répercutent ensuite à la télévision, observe Marie-Sylvie Lefebvre, directrice des acquisitions de la SRC. Toutefois, à Radio-Canada comme à Télé-Québec, on assure acquérir une aussi grande part de films français qu’avant.


Pour Simon Beaudry toutefois, la disparition des films ou de séries en heures de grande écoute est aussi responsable du désintérêt du public québécois. « L’oreille disparaît, on se coupe petit à petit de la culture et on a de la difficulté à comprendre les films », croit-il. Autre dégât collatéral : un star-système qui se renouvelle difficilement. « On roule sur du vieux pétrole », dit-il.


Selon les exploitants de salles, les acteurs ou réalisateurs ne viennent pas assez au Québec et les stars sont déconnectées du public. Du côté d’Unifrance, on soutient au contraire que les artistes sont plus nombreux à venir.


L’organisme ne partage pas l’alarmisme du milieu du cinéma québécois. « Il y a des tendances lourdes dans le monde, il y a la domination du film d’action », relativise Jean-Christophe Beaubiat.


Chose certaine, l’avenir commercial du cinéma français reste incertain. « Au final, conclut Simon Beaudry, ce cinéma se marginalise, et devient ethnique comme n’importe quelle autre cinématographie nationale. »

 

Évolution des parts de marché
du cinéma français au Québec,
depuis 1997 :

1997 :     5 %
1998 :     3,2 %
1999 :     4,1 %
2000 :     3,7 %
2001 :     5,6 %
2002 :     6,4 %
2003 :     3,8 %
2004 :     3,3 %
2005 :     4,2 %
2006 :     3,9 %
2007 :     5,4 %
2008 :     4,3 %
2009 (jusqu’à présent) :     3,4 %