Les cinéphiles québécois risquent bien de ne pas pouvoir «passer de l'autre côté du miroir», seul moyen d'entrer dans le monde magique d'Alice au pays des merveilles. Des exploitants de salles de la Belle Province pourraient boycotter le nouveau film réalisé par Tim Burton si les studios Disney maintiennent leur intention de commercialiser le DVD du long métrage moins de trois mois après sa sortie au cinéma.

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La décision a fait naître un vaste mouvement de protestation dans le monde. Des propriétaires de cinémas des Pays-Bas, ainsi que les membres du groupe Odeon du Royaume-Uni, d'Italie et d'Irlande ont vivement réagi en refusant de projeter le long métrage. Au Québec, certains exploitants jonglent eux aussi avec l'idée de bouder le film qui doit prendre l'affiche ici le 5 mars.

Normalement, les copies DVD d'un film se retrouvent sur les tablettes des clubs vidéo quatre mois après son apparition sur grand écran. Or, dans le plan de marketing élaboré par Disney, seulement trois mois s'écouleront entre la parution d'Alice au pays des merveilles - présenté en version 3D - dans les salles et sa commercialisation en DVD. Résultat: les propriétaires appréhendent des pertes de profits puisque plusieurs fans d'Alice pourraient décider de se procurer la copie DVD au lieu de voir le film sur grand écran.

«C'est très baveux et très irresponsable de la part de Disney, lance sans détour Vincent Guzzo, vice-président des cinémas Guzzo. Il y a des étapes à respecter.» L'entreprise, qui possède au Québec quelque 151 salles réparties en 12 complexes, est en discussion avec Disney à ce sujet. D'ici la fin de la semaine, M. Guzzo - qui a récemment fait l'acquisition de 27 projecteurs numériques pour présenter des oeuvres en 3D - décidera s'il inscrira le film, mettant en vedette Mia Wasikowska et Johnny Depp, à l'horaire de ses cinémas.

«Est-ce que ça vaut la peine d'accepter leurs conditions? se questionne Vincent Guzzo. On est en train de se demander si on se chicane pour le bon film. On ne s'attend pas à faire de l'argent avec Alice au pays des merveilles comme avec Avatar.» Après avoir visionné les bandes annonces, il admet ne pas être convaincu que le film sera un succès.

Du côté de Cineplex, la porte-parole Anne Bombardier confirme que des négociations sont en cours avec Disney. Elle refuse toutefois de donner davantage de détails sur la teneur des discussions. Pour le moment, tout porte à croire que les aventures d'Alice figureront à la programmation des salles de Cineplex puisque l'entreprise annonce présentement sur son site internet un concours en lien avec le film. Il offre la chance aux participants de gagner un voyage à Londres ainsi qu'un ensemble de thé à l'effigie du long métrage.

À La maison du cinéma, complexe de 12 salles situé à Sherbrooke, le propriétaire Jacques Foisy a lui aussi du mal à comprendre la décision de Disney. «La carrière au cinéma d'un film en 3D peut être très longue», soutient-il. Pour le moment, en raison de la présence de son concurrent, M. Foisy a l'intention de projeter Alice au pays des merveilles.

«S'il y a un mouvement général en faveur d'un boycott, je vais me solidariser», assure Jacques Foisy.

Rappelons que M. Foisy avait refusé en 2002 de diffuser La guerre des étoiles II: l'attaque des clones parce que les distributeurs voulaient empocher 70 % des recettes générées par le film pendant les trois premières semaines.

Ils avaient également demandé que l'oeuvre soit projetée sur les plus grands écrans des cinémas pendant huit à 12 semaines.

À l'Association des propriétaires de cinémas et cinéparcs du Québec, le président Didier Farré est d'avis que Disney peut changer d'idée en cours de route, surtout si Alice au pays des merveilles parvient à générer des recettes importantes au guichet. Du côté de Disney, le porte-parole Pedro Barbosa a été avare de détails. «On ne sait toujours pas si Disney va aller de l'avant ou pas», a-t-il dit. M. Barbosa ajoute du même souffle que plusieurs studios envisagent eux aussi dans l'avenir la possibilité de devancer les dates de sorties des films en format DVD.

Dans une dépêche de l'Associated Press, Disney explique avoir raccourci le délai pour combattre le piratage, mais la compagnie assure que cette mesure ne deviendra pas monnaie courante, ce que craignent les exploitants de salles.