Parmi les critères incontournables au bon financement d'un film, la mise en marché comme la distribution occupent une place de choix auprès des institutions, et particulièrement Téléfilm Canada. Mais cette place fait-elle de l'ombre aux autres critères d'évaluation?

Rémy Girard est sans doute l'un des comédiens les plus emblématiques du cinéma québécois: capable de se fondre dans l'univers d'une comédie (Le bonheur de Pierre ou De père en flic) ou d'un drame (Les sept jours du talion) comme d'un film fantastique (La chasse-galerie), son nom a, croit-il, une certaine influence sur l'avenir des projets.

«J'imagine que ça doit aider. Je suis l'un des premiers comédiens choisis et je pense que ça a une influence. Il m'arrive de défendre des films (auprès des institutions) comme Séraphin ou Les sept jours», dit Rémy Girard.

Être si populaire lui vaut-il les jalousies du milieu? Rémy Girard répond par la négative. Les artisans se font quand même reprocher de puiser sans cesse «dans le même pool» de comédiens.

«Le cinéma commercial québécois est un cinéma de producteur, et j'ai l'impression que l'on ne parle pas beaucoup du réalisateur, explique Francis Leclerc.. Quand c'est un projet commercial, c'est le marketing qu'on met de l'avant. Il y a deux sortes de cinéma au Québec: le cinéma d'auteur et le commercial. Et même dans le cinéma d'auteur il te faut une vedette: si on a un million, on nous laisse tranquille, si on a 3 ou 4 millions ça nous prend une vedette.»

Le fils de Félix Leclerc a commencé sa carrière de réalisateur avec Une jeune fille à la fenêtre, un film avec une jeune inconnue (Fanny Malette), chaleureusement accueilli par les critiques lors de sa sortie. Aujourd'hui, un tel projet trouverait difficilement son financement hors du secteur indépendant, croit-il. «Ce genre de film-là n'existe plus du tout. Je suis convaincu que ce ne serait plus subventionné.»

La productrice derrière les films - plusieurs fois primés - de Bernard Émond, Bernadette Payeur, estime également que «pour les réalisateurs et les auteurs, les sujets deviennent de plus en plus grand public. On cherche le plus grand dénominateur commun, sauf si on a un film à petit budget, ce que je me sens maintenant obligée de faire», dit-elle.

Des rapports d'évaluation confirment l'importance du potentiel commercial. Ces dernières années, des scénarios qualifiés de grossiers, incohérents, bâclés ou susceptibles de décevoir le public ont en effet pu être réalisés avec l'aide de Téléfilm, sous prétexte qu'ils avaient néanmoins une valeur commerciale.

Comment réagir?

«L'important, c'est de faire équipe avec son producteur, il faut d'abord s'entendre avec lui. Je n'ai rien contre le fait de faire un film commercial, mais il faut que ce soit bon», dit Francis Leclerc.

Le scénariste de Lance et compte Réjean Tremblay croit quant à lui que l'argument qui a remporté l'adhésion des institutions à l'adaptation au cinéma de la populaire série se résume en deux mots: cotes d'écoute. «On fait un film pour le public, et puisque les institutions investissent, elles ont bien le droit de se demander quel est le public que ça va toucher», juge-t-il.

Pourtant, l'équation entre les vedettes, le sujet populaire et la mise en marché agressive n'entraîne pas automatiquement le succès: le film Pour toujours les Canadiens et son cuisant échec commercial en sont un cas exemplaire.

Malgré tout, l'avenir, croit-on, pourrait appartenir aux projets les moins risqués aux yeux des institutions. Pour Bernadette Payeur, le prochain défi sera de trouver un financement de quatre à cinq millions de dollars pour le prochain film de Bernard Émond. «Disons qu'on a nos acquis, mais pour les nouveaux auteurs, c'est autre chose», dit-elle.

Pas de regrets

Producteurs et réalisateurs se plaignent quand leurs films ne sont pas retenus. Et du côté des institutions, regrette-t-on parfois, d'avoir fait tel ou tel choix? «Ce que l'on a entre les mains, c'est du papier, on imagine dans notre tête, et la perception du réalisateur est différente. Mais non, on n'a pas de déception. Franchement, ce que l'on voit à l'écran est souvent supérieur: on est étonnés par la créativité des réalisateurs», répond Ann Champoux, directrice générale du cinéma et de la télévision de la SODEC.