Une lettre d'amour ou un billet doux à Montréal. Pour Jacob Tierney, le scénariste et réalisateur de Le Trotski, Montréal n'est pas que le décor de son deuxième film, mais un personnage à part entière. «Quand on est anglo de Montréal, on n'est jamais représentés au cinéma ou à la télévision», constate-t-il.

Rares sont les anglophones à avoir franchi le Rubicon et à jouer dans des films francophones. Depuis le succès de Bon Cop, Bad Cop, le producteur Kevin Tierney, son père, espère remettre les anglos dans le cinéma québécois avec son prochain film French Immersion.

«Je dis toujours à Kevin que son oeuvre est sur des gens qui adorent le Québec une fois qu'ils viennent ici. Moi, je raconte des histoires d'ici. Je me considère comme Québécois, alors je raconte notre histoire», dit Jacob Tierney, qui termine la postproduction de son prochain film adapté d'un roman de Chrystine Brouillet, Notre-Dame-de-Grâce.

Son histoire, dans Le Trotski, est celle d'un adolescent qui croit partager avec le leader socialiste russe bien plus qu'un patronyme: un destin. Ce n'est pas parce que Léon Bronstein vient d'une famille plutôt bourgeoise de Montréal qu'il ne peut pas pousser les employés de l'usine paternelle à entamer une grève de la faim.

Comme son héros, le jeune Léon va s'amouracher d'une femme de dix ans son aînée (Emily Hampshire) et prendre la tête d'une insurrection estudiantine dans laquelle il défiera l'autorité toute militaire du principal (Colm Feore). Si Le Trotski trempe clairement dans la comédie, Jacob Tierney ne cache pas son inspiration première: le cinéma engagé du Britannique Ken Loach.

«J'ai vu Land and Freedom quand j'avais 15 ans. Pour moi, ce n'était pas possible de faire aussi bien que Ken Loach, alors j'ai décidé de faire un film d'adolescent comme Ken Loach. Éventuellement, c'est devenu Le Trotski», explique Tierney.

Jay Baruchel

Le soin d'interpréter le fantasque personnage a été laissé à Jay Baruchel, un autre anglophone de Montréal, amoureux de sa ville. Le jeune homme, qui mène à Hollywood une carrière plus qu'enviable (on le verra au côté de Nicolas Cage dans The Sorcerer's Apprentice) ne cache pas son enthousiasme pour Montréal.

S'exprimant en anglais et en français, Jay Baruchel a gardé son coeur à Montréal. «C'est la première fois en 10 ans que je travaille ici. Pour moi, ça a été une chance de tourner ici avec beaucoup de gens que je connais», dit-il, montrant sur l'affiche du film sa petite soeur ou l'un de ses meilleurs amis (Ricky Mabe). «C'était une réunion de famille!» dit-il.

Jay Baruchel n'a pas hésité avant d'accepter de jouer le rôle de Leon Bronstein, même si la folie du personnage aurait pu le faire tomber dans la caricature. «C'est l'un des meilleurs personnages que j'ai joués», explique Jay Baruchel.

Rôdé aux comédies - on l'a aperçu chez Ben Stiller et on devrait bientôt le voir aux côtés de Seth Rogen - Jay Baruchel ne rechigne pas à se lancer dans un registre plus dramatique. Dans Le Trotski, il navigue entre les deux. «Je ne trouve pas l'un plus dur que l'autre, mais je suis heureux quand je peux faire les deux. C'est pour moi la meilleure façon de jouer», dit-il.

Voisins voisins

Dans sa prime jeunesse, Jay Baruchel regardait avec envie la carrière d'enfant acteur que menait l'un de ses voisins, Jacob Tierney, dans le métier. Depuis qu'ils se sont rencontrés pour The Trotsky (version originale anglaise), le réalisateur et le comédien s'apprécient encore davantage. «Je voulais un comédien qui soit drôle et vulnérable: quand on voit Jay, on a envie d'être avec lui pendant deux heures», dit-il.

Dans Le Trotski comme dans le quotidien de bien des Montréalais, les langues et les cultures se mélangent et ce n'est pas parce que Leon grandit dans une famille juive anglophone que sa belle-mère ne peut pas être une flamboyante Québécoise (Anne-Marie Cadieux).

«Je trouve que l'on a pas vu beaucoup ça, un anglo qui joue avec des francos où l'inverse, dit la comédienne. Dans Le Trotski, il y a beaucoup de clins d'oeil, il y a aussi Geneviève Bujold qui apparaît d'une façon naturelle. Jacob est montréalais: son film ressemble à ça», dit-il.

Kevin Tierney souligne que les racines du film, elles, sont profondément montréalaises. «C'est un Montréal que l'on voit rarement: ce n'est pas le Montréal de Mordecai Richler, mais celui de ses enfants s'ils étaient restés ici. Ce n'est pas le Québec de Léolo, mais c'est un beau visage donné à Montréal, comme une place généreuse.»

Kevin Tierney, le producteur qui voulait séduire les Canadiens

On doit à Kevin Tierney l'un des plus gros succès du cinéma québécois: Bon Cop, Bad Cop. Le producteur de Park Ex Pictures espère séduire à nouveau les spectateurs québécois avec French Immersion, sa première réalisation, une comédie mettant en scène des fonctionnaires plongés dans la réalité québécoise.

Son fils, Jacob Tierney, semble lui aussi tirer parti de la richesse dramatique du Québec: qu'il s'agisse de la comédie (Le Trotski), du thriller (Notre-Dame-de-Grâce) ou aux drames (The Good Terrorist, son prochain projet inspiré par la crise d'Octobre).
Le Trotski est d'ailleurs l'un des rares films québécois à sortir au Québec en même temps que dans le reste du Canada. «Ce n'est pas un film d'art et essai», dit Kevin Tierney. Réaliste, il note toutefois que le succès au Québec d'une comédie «bilingue» ne fonctionne pas forcément au Canada.

«Nous avons des problèmes communs (au Canada et au Québec) et des problèmes différents, mais le succès d'un film comme One Week (de Michael McGowan), c'est bon pour tout le monde», croit Jacob Tierney.

Né à Montréal, Kevin Tierney a appris à parler français en Algérie où il a travaillé. «C'est une décision que j'ai prise très tard mais qui a changé ma vie. Si je n'avais pas appris le français je ne serais pas resté ici», croit-il.

Anne-Marie Cadieux : Anna, la belle-mère de Léon

«Quand Jacob m'a offert le rôle, j'ai accepté d'emblée. J'aimais l'idée du scénario. C'est une idée originale et atypique, une comédie fine et intelligente, un film grand public mais qui n'est pas au ras des pâquerettes. Jacob voulait travailler avec moi pour jouer une mère québécoise qui se prend pour une mère juive. J'ai beaucoup aimé travailler avec Jay, qui est vraiment charmant.»

Emily Hampshire : Alexandra, la flamme de Léon

«Jacob voulait d'abord que je joue une jeune fille dans le film, mais quand tout a été prêt à tourner, 10 ans plus tard, il a voulu que je joue Alexandra. J'aime beaucoup le film: c'est drôle, intelligent. L'écriture est très intelligente et cela ressemble beaucoup à Jacob.»

Jay Baruchel : de Léon Bronstein à Léon Trotski

«J'aimerais pouvoir te dire que j'ai passé plusieurs mois en Russie pour préparer mon rôle, mais en fait j'ai regardé des vidéos de lui sur YouTube. J'ai repéré quels étaient ses mouvements, quel était le rythme de ses phrases...Je me suis inspiré de lui, et voilà!»