Le Festival de Cannes sera lancé ce soir en grande pompe avec la présentation de Robin Hood, une superproduction signée Ridley Scott avec, pour têtes d'affiches Russell Crowe et Cate Blanchett.

Chaque endroit a son «Rogatien». À Cannes, il a pour prénom Gérard. Ou Roger. Ou Maurice. Dans son taxi, qui assurait le court trajet entre le point d'arrivée d'un bus débordant de festivaliers exténués et mon hôtel, le chauffeur m'a refait son monde en me dressant un portrait exhaustif du temps fou qui s'est abattu sur son coin de pays récemment. Le fameux «coup de mer» de la semaine dernière semble n'être pourtant plus qu'un mauvais souvenir. Un temps radieux régnait d'ailleurs sur la Croisette à notre arrivée.

«Ce n'est pas de sitôt! a d'ailleurs pesté Rogatien. Le temps est mêlé partout! Il faisait 11 degrés ici il y a quelques jours. Vous imaginez? On ne comprend plus rien!». Je crois avoir «rachevé» le pauvre homme quand je lui ai appris qu'il avait neigé à Montréal le jour de mon départ. «Bah! vous voyez bien! La planète est devenue folle, je vous dis! Et c'est bien fait pour notre gueule, si vous voulez mon avis. Cela ne fera qu'empirer si on continue à faire n'importe quoi! Et à part ça, vous vous attendez à un beau festival cette année m'sieur?»

Toujours. Même si le programme est peut-être moins flamboyant que celui de l'an dernier sur papier, il reste que les comités de sélection du plus grand festival de cinéma du monde affichent une rigueur qui les honore. Des pointures n'ont pas livré leur film à temps? Tant pis. On organise une compétition à 18 (maintenant 19) plutôt que de boursouffler artificiellement le programme.

L'Asie est représentée en force cette année avec deux films coréens (The Housemaid d'Im Sangsoo et Poetry de Lee Chang-dong), un japonais (Outrage du vétéran Takeshi Kitano), un chinois (Chongqing Blues de Wang Xiaoshuai), sans oublier l'enfant chéri du cinéma mondial, venu de Thaïlande, Apichatpong Weerasethakul (Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures). Mathieu Amalric (Tournée), Xavier Beauvois (Des hommes et des dieux) et Bertrand Tavernier (La Princesse de Montpensier) défendent de leur côté les couleurs françaises. Le nouveau film du réalisateur de Babel, Alejandro Gonzalez Iñarritu, Biutiful, suscite évidemment de beaux espoirs.

Ken Loach in extremis

Ken Loach, un habitué de la Croisette, a par ailleurs rejoint in extremis le club sélect il y a deux jours à peine avec son nouveau film Route Irish. Avec Mike Leigh (Another Year) et Abbas Kiarostami (Copie conforme), le cinéaste anglais est le troisième ancien lauréat d'une Palme d'or à prendre place sur le bloc de départ cette année.

«Le film n'était pas prêt lorsque la sélection a été annoncée le 21 avril dernier, a expliqué le délégué général Thierry Frémaux. Quand il l'a terminé, Ken Loach s'est montré déçu de n'avoir pu nous le proposer. C'est alors que sa productrice anglaise, Rebecca O'Brien, a décidé de nous l'envoyer il y a quelques jours, sans le lui dire. Il a été stupéfait d'apprendre sa sélection.

Ce n'est pas la première fois qu'une chose comme celle-là arrive, poursuit-il. Gilles Jacob avait inclus Yol de Yilmaz Güney et Serif Gören, L'Homme de fer d'Andrzej Wajda ou Le Goût de la cerise d'Abbas Kiarostami à la dernière minute. L'histoire n'est pas finie: les trois ont obtenu la Palme d'or cette année-là. Mais il ne faut en tirer aucune conclusion!»

De petites polémiques

Bien entendu, de petites polémiques ont déjà surgi ici et là. Il ne pourrait en être autrement à Cannes, le festival de tous les fantasmes. Avant même sa projection, Hors la loi, de Rachid Bouchareb, s'est attiré les foudres de l'extrême droite et a été dénoncé par le député du coin Lionnel Luca, taxant le film de «négationniste» sans même en avoir vu une seule image. Dans son nouveau long métrage, le réalisateur d'Indigènes s'attarde à décrire, à travers le destin de trois frères, l'histoire franco-algérienne de la fin des années 30 jusqu'à l'indépendance de l'Algérie en 1962.

Et puis, le gouvernement italien boycotte Cannes cette année. La raison? La présentation, en séance spéciale, d'un document grinçant réalisé par la satiriste Sabina Guzzanti. Draquila - l'Italie qui tremble est un film consacré à la gestion du tremblement de terre d'avril 2009 à l'Aquila, et critique sévèrement au passage le gouvernement de Silvio Berlusconi. Sandro Bondi, ministre italien des biens culturels, a vu quelques extraits du film à la télé et il n'a pas du tout aimé qu'on s'en prenne à son chef. Il boude, bon.

Ces petites controverses mises à part, tout est maintenant en place pour ce 63e Festival, lequel s'amorce ce soir avec la présentation en grande pompe de la superproduction hollywoodienne Robin Hood. Russell Crowe et Cate Blanchett seront mitraillés par les photographes lors de la montée des marches, mais pas le réalisateur Ridley Scott, retenu chez lui par une opération au genou. Même s'il ne compte qu'un film dans la compétition cette année (Fair Game de Doug Liman), le cinéma américain sera évidemment très présent au cours des prochains jours, notamment grâce à Wall Street: Money Never Sleeps d'Oliver Stone, et You Will Meet a Tall Dark Stranger, nouvel opus de Woody Allen, tous deux présentés hors-concours.

Rappelons par ailleurs que les différents comités de sélection du Festival de Cannes n'ont retenu qu'une seule production québécoise. Le deuxième long métrage de Xavier Dolan, Les amours imaginaires, sera présenté samedi à Un certain regard, l'une des sections officielles du Festival.