Hier à l'Assemblée nationale, le débat sur l'accès à l'école anglaise au Québec faisait rage et divisait une fois de plus les tenants du libre choix et ceux de l'école française obligatoire. Pourtant, au même moment à Saint-Césaire, une bande d'anglos et de francos s'entendaient comme larrons en foire devant un vieux couvent dispensant des cours d'immersion française.

Mirage? Non, tournage de French Immersion, une comédie linguistique bilingue et non politique (si tant est que cela existe) réalisée par Kevin Tierney, le producteur et scénariste de Bon Cop, Bad Cop qui réalise son premier film. Le changement de chaise et de fonction lui a d'ailleurs fait dire en français aux journalistes: «Quand tu es producteur, tu penses que t'es Dieu. Quand t'es réalisateur, tu sais que tu l'es.»

Depuis sept jours, l'équipe de French Immersion, un film doté d'un budget de 6,3 millions de dollars, a élu domicile dans un couvent datant de 1857 dont les murs en tôle gaufrée sont incrustés, à la grandeur de l'édifice, de fleurs de lys. Kevin Tierney affirme que ce sont les fleurs de lys tellement typiques qui l'ont convaincu de tourner dans le couvent. Quant aux acteurs qu'il a recrutés, il y en a plus d'une vingtaine avec Karine Vanasse et le Vancouverois Fred Ewanuick dans les rôles principaux. À leurs côtés, on retrouve Pascale Bussières, Jacob Tierney, Yves Jacques, Laurence Leboeuf, Colm Feore, Sylvain Marcel et Robert Charlebois dans le rôle du senateur Onésime, lui qui jure qu'il ne rêve pas de siéger au Sénat avec Jean Lapointe.

Le film se déroule sur une période de deux semaines au sein d'un camp d'immersion française offert par le petit village fictif de Saint-Isidore-du-Coeur-de-Jésus. Une bande de Canadiens anglais débarquent au village sans parler un traître mot de français et sans rien connaître à la culture locale. Ils iront évidemment de surprises en surprises.

Jefferson Lewis, qui a coscénarisé le film avec Tierney, parle d'un camp d'été pour adultes où les adultes égarés dans la mer francophone vivent les mêmes affres que des enfants dans un camp de vacances. «Au début, ils sont perdus, déprimés et ne pensent qu'à rentrer chez eux. À la fin, ils ne veulent plus repartir», dit le scénariste.

Francis Mankiewicz

L'idée du film a germé il y a plus de 20 ans, lorsque Jefferson Lewis est allé à l'aéroport cueillir sa soeur, une unilingue anglophone du nord de l'Ontario, qui revenait d'un camp d'immersion française à Jonquière. Son compte rendu l'a tellement fait rire que le scénariste a voulu en faire un film. Il a proposé l'idée au cinéaste Francis Mankiewicz. Les deux ont travaillé ensemble pendant quelques mois puis Mankiewicz est tombé malade. Lorsqu'il est mort, Jefferson Lewis a abandonné le projet. Il y a quelques années, lorsque Kevin Tierney est allé présenter Bon Cop, Bad Cop à Toronto, il s'est rappelé le projet et l'a décrit comme l'ancêtre des films bilingues. Il a par la suite proposé à Jefferson Lewis de reprendre le projet.

«Il y a 20 ans, la question de la langue était un sujet délicat dont on ne pouvait pas rire. Ce n'est plus le cas aujourd'hui», affirme Jefferson Lewis, un Anglo-Montréalais qui est aussi le conjoint de l'actrice Andrée Pelletier, la fille de Gérard Pelletier.

L'immersion française demeure un phénomène peu connu des Québécois, sauf évidemment ceux de Jonquière qui, depuis 40 ans, voient chaque été défiler chez eux juges, fonctionnaires et hommes politiques d'Ottawa ou de Red Deer en Alberta. Les Québécois n'ont pas de camps d'été d'immersion anglaise, sans doute parce qu'ils sont plus bilingues que la majorité des Canadiens.

Qu'à cela ne tienne. Karine Vanasse n'a pas hésité à accepter le rôle de Julie Tremblay, la prof de français qui s'amourache d'un postier de Red Dear en Alberta.

«Kevin m'a appelé au lendemain des prix Genie alors que j'étais plongée dans la problématique des deux solitudes cinématographiques. J'aimais l'idée qu'il s'agissait d'un sujet anglophone auquel les Canadiens anglais pourraient s'identifier, mais qui ferait découvrir aux Québécois une réalité qu'ils ne connaissent pas», raconte-t-elle.

Jacob Tierney

Jacob Tierney, le fils du réalisateur, et lui-même réalisateur du charmant film The Trotsky, n'a jamais fait d'immersion française. «Ce n'était pas nécessaire. Je suis un enfant de la loi 101. Je suis allé à l'école française. L'anglais chez nous n'était pas une option.»

Jacob interprète Jonathan Hornstein, un restaurateur juif new-yorkais qui veut ouvrir un restaurant français où l'on sert des rognons. Il sera hébergé par une grand-mère catholique canadienne-française mystifiée par la pratique juive de la circoncision. Elle finira par lui tricoter un petit bonnet pour préserver son pénis des rigueurs de l'hiver new-yorkais.

Comme The Trotsky, French Immersion ne table pas sur les conflits et les antagonismes entre les anglos et les francos mais plutôt sur ce qui les réunit. Est-ce le début d'un temps nouveau? Kevin Tierney ne le sait pas. Tout ce qu'il sait, c'est que les relations entre les francos et les anglos de ce pays est un extraordinaire filon dramatique qui a été trop longtemps sous-exploité. Autant dire qu'il entend bien rattraper le temps perdu.