L’éditeur Flammarion profite de la sortie attendue du film pour relancer l’autobiographie qui l’a inspiré ainsi que le livre Mesrine, fragments d’un mythe, enquête en profondeur signée Philippe Roizès. 

Ce dernier, qui a travaillé durant près de quatre ans sur le sujet, achève un documentaire sur la période québécoise de Mesrine. Joint en France, il nous parle de l’homme et déboulonne la légende.

Q : Vous aviez à peine 13 ans quand Mesrine a été abattu. Pourquoi avoir voulu écrire un livre sur un bandit qui n’était pas de votre génération?

R : C’est vrai que, au départ, Mesrine ne me disait pas grand-chose. J’avais entendu parler de lui, comme tout le monde, et je savais que le groupe rock français Trust avait fait des chansons sur lui. Mais sans plus. En fait, c’était une commande. On m’a demandé de faire un documentaire sur Mesrine, pour accompagner la sortie des films avec Vincent Cassel. Mais à la fin, je me suis retrouvé avec tellement d’éléments non utilisés que Flammarion a pensé que ce serait une bonne idée d’en faire un livre.

Q : Au fil de vos recherches, vous êtes-vous attaché au personnage?

R : Au début, oui. C’est un piège dans lequel on peut tomber facilement. À force de rencontrer des gens qui l’avaient connu, de retrouver des lieux qu’il avait fréquentés, des choses de son enfance, il y a eu une phase d’attendrissement. Mais après, j’ai fait la part des choses. J’ai surtout essayé de séparer le vrai du faux. En lisant son autobiographie, on s’aperçoit qu’il y a un mensonge par page. Et je me suis rendu compte que ce ne sont pas que de petits arrangements avec la vérité. Par exemple, la majeure partie des meurtres qu’il avoue dans son livre sont faux. D’autres sont vrais, mais ils ne se sont pas du tout passés comme il le raconte. Forcément, le personnage a fini par me paraître moins sympathique.

Q : Pourtant, on le présente souvent comme quelqu’un de séduisant...

R : L’un n’empêche pas l’autre. Ce n’est pas parce que Mesrine a menti, qu’il avait un sale caractère et qu’il a battu toutes les femmes avec qui il a été qu’il ne peut pas être intelligent, loyal et sympathique. Il y avait aussi chez lui beaucoup d’humour. Mais il faisait souvent les choses pour deux raisons: à 49 % par sincérité et à 51 % pour nourrir sa légende. C’était d’ailleurs ce qui le distinguait des autres gangsters: il voulait vraiment qu’on se souvienne de lui comme d’un bandit pas comme les autres. En cela, il a réussi.

Q : Des tas de choses ont été écrites sur Mesrine. Qu’est-ce que votre livre nous apprend qu’on ne savait pas?

R : La plupart des gens qui ont travaillé sur Mesrine avant moi n’ont pas vérifié ce qu’il prétend avoir fait dans L’instinct de mort. Par exemple, ils ont cru de bonne foi qu’il avait participé à des atrocités pendant la guerre d’Algérie, ce qu’il présente comme son mythe fondateur. Ç’aurait été possible, mais il se trouve que, dans son cas, c’est faux. J’ai lu son dossier militaire et rencontré cinq personnes qui étaient avec lui pendant ses trois ans d’armée. En fait, il s’occupait des pièces détachées dans une ferme... Il n’a participé à rien! À mon avis, ce qui a été vraiment fondateur pour lui, c’est sa relation avec son père, qui n’a pas fonctionné du tout. Toute sa vie, Mesrine a essayé de lui dire : arrête-moi. Son père ne l’a pas compris ou n’en n’a pas été capable.

Q : Votre chapitre sur les aventures de Mesrine au Québec est particulièrement bien documenté. Combien de temps avez-vous passé chez nous?

R : Physiquement, un mois et demi, mais l’enquête avait commencé avant. Mes assistants avaient fait des recherches pendant un mois avant que j’arrive. Ils ont fait un boulot superbe. Je suis parti au Québec avec l’idée que je ne rencontrerais que 10 personnes, j’en suis revenu avec 40 entrevues.

Q : Vous avez notamment rencontré Jocelyne Deraîche, qui fut la maîtresse québécoise de Mesrine au début des années 70. Comment l’avez-vous retrouvée et convaincue de participer au projet?

R : On a demandé à Claude Poirier d’annoncer à son émission que je préparais un livre sur Mesrine. C’est là qu’elle s’est manifestée. Le plus difficile, une fois que cette étape a été franchie, a été de gagner sa confiance. Je me rappelle qu’il a fallu qu’on parle deux fois cinq heures au téléphone. Et ensuite quand on s’est rencontrés, on a encore discuté pendant deux ou trois heures avant que je fasse l’entretien. Je comprends tout à fait. Elle est montée en première ligne avec lui. Elle a fait deux fois de la prison et elle aspire plutôt à tourner la page.

Q : Que dit-elle aujourd’hui de ces années mouvementées? A-t-elle l’impression d’avoir été naïve de l’avoir suivi?

R : Je pense qu’elle est partagée entre deux sentiments. La vie à laquelle elle était destinée n’aurait pas été très excitante et très heureuse sans Mesrine. Elle était à la recherche de quelque chose de fort et elle l’aurait suivi jusqu’au bout du monde. Il était un peu comme un protecteur, pour elle. Mais, d’autre part, elle sait qu’elle l’a payé très cher.

Q : Pour finir sur la période Québec, que dites-vous du fameux meurtre de la propriétaire de motel à Percé, que Mesrine a toujours nié?

R : Pour moi, c’est lui, j’en suis convaincu à 100 %. J’ai lu le rapport du procès qui l’avait innocenté. Quand on connaît bien l’affaire, on voit que c’est du maquillage. Il était persuadé que cette Évelyne Bouthilier avait de l’argent. Quand il a vu qu’elle n’avait rien, il l’a étranglée. Dix ans plus tard, en entrevue avec le directeur de Photo-Police, sa compagne Jeanne Schneider a dit que cette nuit-là avait été horrible. Mesrine lui-même en aurait parlé à un de ses avocats en évoquant un « accident du travail »...

Q : Après tout cela, comment expliquer la fascination que suscite toujours Jacques Mesrine?

R : Pour l’histoire du gangstérisme français, c’est un personnage en or parce qu’il a réussi à entretenir sa propre légende. Un de ses complices a dit quelque chose de très vrai sur lui : c’est quelqu’un qui a rêvé sa vie, mais la vie qu’il a menée était à la hauteur du rêve. Tout ce qu’il a réellement vécu est aussi fort que ses mensonges. Et puis, pour tous ces gens ordinaires qui subissent des brimades dans la vie, il y a ce type qui dit non à tout. Qui dit : «Je fais ce que je veux, je ne me réveille pas pour aller travailler, je ne paie pas d’impôts et si quelqu’un m’emmerde, je lui fous une claque.» Il incarne l’affranchissement.

Q : Et le film, qu’en avez-vous pensé?

R : Cinématographiquement, c’est réussi. Le réalisateur n’a pas hésité à rendre le personnage borné, coléreux, ultra-violent. Mais en général il l’a rendu un peu plus sympathique qu’il ne l’était. Je pense que c’est totalement sincère : il l’a cru plus sympathique qu’il ne l’était. Mais bon, j’ai travaillé presque quatre ans sur le sujet. Eux n’ont pas eu tout ce temps-là. J’ai forcément un autre regard.

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MESRINE, FRAGMENTS D’UN MYTHE, de Philippe Roizès avec la collaboration d’Anne-Claire Préfol. Éditions Flammarion. Philippe Roizès met actuellement la dernière main à un documentaire qui sera exclusivement consacré aux quatre ans et demi que Mesrine a passé au Québec et qui s’intitulera Mesrine, l’aventure québécoise.