Moins médiatisé qu'à l'époque de l'émission Bon dimanche, Pierre Brousseau, tête chercheuse des Films Séville, poursuit sa quête des films d'auteur de demain depuis 50 ans. Tour à tour dessinateur, journaliste, publicitaire, réalisateur, scénariste, imprésario, distributeur et producteur, il a deux grandes passions : sa femme et le cinéma. La Presse l'a rencontré alors qu'il vient de produire Y'en aura pas de facile, du réalisateur Marc-André Lavoie, et qu'il distribuera Le cri du rhinocéros, de Marc Labrèche, et Frisson des collines, de Richard Roy.

Le Pierre Brousseau qui défend avec passion le premier projet de film de Marc Labrèche et le Pierre Brousseau qui vendait gâteaux et boissons sur les chantiers de Québec avec sa petite brouette, alors qu'il avait à peine 10 ans, sont un seul et même personnage, enthousiasmé autant par le cinéma que par la richesse des contacts humains.

Né en 1945, l'actuel premier vice-président des Films Séville vénère le cinéma depuis un demi-siècle. Éduqué au Séminaire de Québec, il a commencé à fréquenter les cinéclubs à l'âge de 15 ans. «Je me passionnais pour la Nouvelle Vague, dit-il. Les films de Godard et de Truffaut et les documentaires de François Reichenbach.»

À 20 ans, Pierre Brousseau part aux États-Unis, en direction de l'école des réalisateurs de l'Université de la Californie à Los Angeles (UCLA). Mais la guerre du Vietnam perturbe ses plans. «J'étais immigrant reçu et j'avais les droits et devoirs du citoyen américain, sauf celui de voter, mais j'étais enrôlable dans l'armée. Quand j'ai su qu'on me cherchait activement, je suis parti à l'aube avec un ami. Direction Munich.»

Après un an en Europe, il arrive à Montréal. Il a un coup de foudre pour Mariette Lévesque, alors une vedette au Québec, dont il voit une photo à la une d'un journal. «C'était la plus belle fille de l'époque, dit-il. Tout le monde la courtisait. Je me suis fait un costume et une gabardine et je suis allé sonner à sa porte! Elle m'a invité à prendre le thé. J'avais 21 ans. Ça fait 43 ans qu'on est ensemble!»

Festival de Cannes

En 1968, il part en voyage de noces... au Festival de Cannes. «On voyait cinq films par jour, mais, comme c'était Mai 68, ça n'a pas duré longtemps. On y a vécu une page d'histoire: j'étais dans la salle quand Truffaut, Godard et compagnie se sont accrochés au rideau pour empêcher la projection.»

À cette époque, il touche au journalisme, couvre les faits divers à La semaine et travaille ensuite à CKAC. Il garde toujours un oeil sur le cinéma. Grâce notamment à Gilles Carle et à Fernand Dansereau, il réalise un court métrage, Narcisse, en 1969.

Deux ans plus tard, il cosigne avec Roger Cardinal le scénario du film comico-érotique Après-ski, dans lequel jouent Mariette Lévesque, Daniel Pilon, Francine Grimaldi... et René Angélil. Ce n'est pas la page de sa vie dont il est le plus fier. «Quand j'ai été engagé pour ça, je n'avais pas lu Après-ski. Il n'y avait rien à écrire, c'était juste des scènes de baise non stop. J'étais découragé!»

Pendant cinq ans, il gère la carrière de chanteurs: Melody Stewart, Nanette Workman, Mimi Hétu, Nicole Martin, Jimmy Bond et même Pierre Labelle, l'un des trois Baronets. «Je suis le premier à avoir fait chanter Michel Louvain au New Jersey et j'ai endisqué Jacques Boulanger avec sa chanson Ding a ling», dit-il.

Dans les années 70, il est aussi correspondant pour le Hollywood Reporter, magazine de l'industrie du cinéma. De 1976 à 1979, il s'associe à Mutual Films (les Films Mutuel), boîte créée au début des années 70 par le producteur Pierre David. «Je lui ai fait acheter le Molière d'Ariane Mnouchkine et ce fut le succès de cinéma que l'on sait. Aujourd'hui, avec l'argent, je n'ai pas peur de sauter dans le vide, mais, à l'époque, je n'en avais pas et je faisais pareil!»

Épisode torontois

Après s'être installé à Toronto en 1979, il écrit et produit le film Tanya's Island l'année suivante. «C'était un navet, mais ça m'a permis d'apprendre sur le tas et de tourner à Porto Rico», dit-il. Neuf fois secrétaire de jury du Festival des films du monde (de 1982 à 1990), il traite des nouvelles artistiques internationales et de cinéma à Bon dimanche, à Télé-Métropole, de 1984 jusqu'à la disparition de l'émission culturelle en 1990. En même temps, il fonde Agora-Media Marketing en 1985 et fait son premier gros coup en distribuant Le matou cette année-là.

Cinq ans après, il abandonne son statut d'entrepreneur et entre chez Alliance. Son travail est vite remarqué: le film Tous les matins du monde, du regretté Alain Corneau, est sa première grande acquisition. Il distribue ensuite de grands films: Léolo, de Jean-Claude Lauzon, Le confessionnal, de Robert Lepage, Crash, de David Cronenberg, Raining Stones, de Ken Loach, ou encore la trilogie Trois couleurs de Krzysztof Kieslowski.

Pierre Brousseau quitte Alliance Vivafilm pour Behaviour en 1997. Le président d'Alliance, Victor Loewy, le louange lors de son départ et souligne combien Alliance Vivafilm a pu bénéficier des services de ce travailleur «infatigable et passionné».

Puis, avec John Hamilton et David Reckziegel, il crée Les Films Séville en 1999. Il a alors la réputation de préacheter ce qu'il y a de mieux sur le marché du cinéma d'auteur. «Pour trouver ces films, j'ai beaucoup bénéficié de mon mentor Victor Loewy et j'ai entretenu les bons contacts, dit-il. Victor m'avait donné une limite chez Alliance: 200 000$ pour un film, mais, après Indochine, il m'avait laissé faire.»

Les Films Séville

En février 2001, il distribue In the Mood for Love, de Wong Kar-wai. «Après, les gens connaissaient Les Films Séville», dit-il. Depuis, parmi ses succès, citons Le goût des autres, d'Agnès Jaoui, Huit femmes, de François Ozon, Le concert, de Radu Mihaileanu, Gainsbourg (Vie héroïque), de Joann Sfar, ou encore Ce qu'il faut pour vivre, de Benoît Pilon.

En 2007, Entertainment One a mis la main sur Les Films Séville, mais son travail reste le même. «Notre vision n'a pas changé, mais faire partie d'un conglomérat permet de sortir 100 vidéos par an et on engage plus du côté québécois», dit-il. Aujourd'hui, Pierre Brousseau essaie d'être le meilleur producteur délégué qui soit. «Je n'ai pas de mots pour dire combien je suis enchanté et fier d'avoir «enfanté» Marc-André Lavoie (Bluff, Y'en aura pas de facile) et d'avoir assuré une vie en continuité à Orange Médias qui est en train de révolutionner la façon de créer cinématographiquement après deux essais concluants», dit-il.

Quand on lui demande finalement quel est le secret de ses succès, il répond: «La poursuite incessante du plus haut dénominateur commun.» «Quand une entreprise a un bon acheteur, le principe devrait être de lui laisser toute la corde pour se pendre, car, si on ne prend que ce qui nous convient parmi ses suggestions, on risque fort de passer à côté du gros morceau qui fera toute la différence sur le résultat de l'année financière. C'est comme à la Bourse: il suffit d'être absent pendant les 16 bonnes journées de l'année pour rater le coche.» Le travail, toujours le travail. Et beaucoup de passion.