Plus de 20 ans après la sortie du film Dans le ventre du dragon, Yves Simoneau fait sa rentrée cinématographique au Québec avec la comédie policière L'appât. Nerveux? Plutôt enchanté de retrouver des collaborateurs de longue date, répond-il. Conversation avec un cinéaste conscient du chemin parcouru et qui trace son chemin avec assurance.

Tout a commencé un soir de la fin mars 2008 sur le plateau de Tout le monde en parle. Incapable de prononcer le nom de la série Bury My Heart at Wounded Knee pour laquelle le réalisateur Yves Simoneau venait de remporter six prix Emmy, Guy A. Lepage y va d'une traduction très libre et hilarante en parlant de «Brûle mon coeur à genoux pétés».

Sur le même plateau se trouve le journaliste et essayiste William Reymond, venu parler de ses plus récentes enquêtes (Marilyn Monroe, la malbouffe). Après l'enregistrement, l'équipe et les invités vont festoyer. C'est là qu'est né le projet du film L'appât avec Simoneau à la réalisation, Reymond au scénario et Lepage à l'écran.

Yves Simoneau éclate de rire lorsqu'on lui rappelle cette traduction pour le moins fantaisiste de son oeuvre présentée en 2007 sur HBO. Un rire qui exprime tout autant son plaisir de revenir tourner au Québec.

«Ce n'est pas stressant. C'est vraiment plaisant, dit-il. Sur le plateau et dans l'équipe, il y avait des gens qui avaient travaillé sur mon premier long métrage, Pouvoir intime. C'était comme renouer avec sa famille. De plus, de tourner une comédie ici, en français, avec des gens que j'aime, ça ralliait tout ce qui me tentait. On a travaillé très fort, mais il n'y avait pas d'espace pour les angoisses.»

D'ailleurs, les angoisses, très peu pour l'homme qui, à 55 ans, connaît sa valeur, ses qualités et ses défauts et, surtout, la façon dont il veut travailler.

Simoneau ne veut pas, par exemple, se limiter au rôle de réalisateur. Il veut avoir son mot à dire dans la production. «Je sais que ce n'est pas la norme au Québec, dit-il. Mais c'est ce que j'ai fait depuis toujours. De pouvoir jongler avec le contenu, le contenant et tout le reste, c'est très pratique et efficace. Lorsqu'on se heurte à un problème, on peut le régler sur place et beaucoup plus rapidement.»

Cette façon de faire l'a servi durant toute sa période hollywoodienne, de 1989 à 2007.

«À Los Angeles, le défi est de ne pas se standardiser, souligne-t-il. De façon systématique, c'est ce qu'on va essayer de faire. On veut vous avoir parce que vous avez une vision originale, mais on ne veut plus l'entendre une fois qu'on vous a signé. On doit constamment protéger cette vision, la défendre et la mettre de l'avant. Si on résiste à ce système, qui existe pour broyer l'originalité et la créativité, on devient automatiquement plus fort. Et notre vision s'impose plus facilement de film en film.»

Le policier, ce Mini-Wheat

Dans L'appât, Simoneau propose une histoire légèrement décalée de la réalité, où évolue Prudent Poirier (Guy A. Lepage), policier malhabile et gaffeur qui sera utilisé par ses supérieurs pour attirer des criminels de haut rang.

Poirier est associé à un «stagiaire» français, Mohammed Ventura Choukroune (Rachid Badouri), agent secret «jamesbondien», polyglotte et casse-cou. Le duo sera appelé à vivre des aventures rocambolesques sur fond de quiproquos linguistiques dans un Montréal métissé très XXIe siècle.

«On reconnaît dans le film des choses, des lieux, des personnages comme faisant partie de la réalité, observe Simoneau. Mais l'histoire dans laquelle ces personnages se développent n'est pas réelle. Ce qui permet de créer des scènes d'humour, des situations drôles, un peu exagérées par moments et totalement débridées parfois. C'est là où le décalage devient intéressant.»

En effet, tout sépare ces deux incorruptibles aux méthodes et à la vision des choses diamétralement opposées.

«C'est l'histoire de l'humanité, dit le réalisateur. Les contraires s'attirent. Cette dynamique est intéressante. Elle crée tout de suite un environnement dramatique, mais qui peut aussi être comique. On a une situation qui propose une dualité, avec des contrastes, des chocs, des étincelles, etc.»

Et le policier est le personnage parfait pour mettre en scène de telles situations. Le policier est comme un Mini-Wheat avec un côté sans grande saveur et un côté givré.

Le flic est aussi omniprésent au cinéma qu'à la télévision, fait-on remarquer. «Et dans le roman, ajoute tout de go le réalisateur. Le policier a l'avantage de se retrouver des deux côtés, le côté sombre et le côté lumière, du côté de l'ordre et de celui du désordre. Il a cette position unique d'être à cheval entre les deux, d'avoir à transiger entre les deux. Sur le plan dramatique, le sujet est infini.»

Simoneau n'a jamais aimé catégoriser ses films. Ici, toutefois, il assume: comédie policière. Il souhaite d'ailleurs que celle-ci soit accueillie dans l'abandon. «Ceux qui vont essayer d'intellectualiser le tout vont en profiter seulement au deuxième visionnement, croit-il. L'appât est comme un tour de manège à La Ronde. On passe le petit guichet et vvvvoum. Ça monte, ça descend, ça va droit. Ça remonte. Ça redescend. Ça tourne...»

L'avertissement est lancé. Attachez votre ceinture!

Début chargé en 2011

Yves Simoneau passera les trois premiers mois de 2011 à créer un pilote d'émission avec le réseau américain ABC.

«On va me proposer une dizaine de scénarios. Je vais regarder les histoires, les gens liés à la production et les acteurs engagés et je choisirai un pilote en fonction de ces critères.»

Il y a toujours plus de pilotes que de séries mises en ondes, mais le réalisateur est séduit par ce contrat ouvert.

Un autre de ses projets de film est intitulé Harlem Hellfighters. L'histoire est celle de soldats américains noirs qui ont fait découvrir le jazz aux Français durant la Première Guerre mondiale.

«C'est un beau projet qu'on essaie de monter depuis deux ou trois ans, dit Simoneau. Mais ce n'est pas facile. On parle d'une histoire essentiellement ethnique. Donc, les possibilités de distribution et de financement sont spécifiques. De plus, ce serait un film d'époque, ce qui est difficile à monter.»

Dans de telles conditions, il lui faut être patient.

L'appât sort en salle le 17 décembre