Ne torturez pas inutilement vos méninges, Hobo With A Shotgun n'a rien d'un docudrame sur la violence urbaine en milieu défavorisé, il s'agit évidemment d'une comédie grand-guignolesque particulièrement bête et méchante, proposée toutefois avec, oui madame, un «message d'intérêt social». Nous avons rencontré le jovial et joufflu Jason Eisener, auteur de cet obscur objet de délire.

Eisener est un fan fini, pour ne pas dire un geek authentique, qui connaît ses classiques, passionné par le cinéma de genre, années 70 et, surtout 80, époque de ses premiers grands émois cinéphiles. Parlant de Hobo, son premier long métrage mettant en vedette Rutger Hauer, il cite comme références Dead-End Drive In, Fight For Your Life, The Warriors et autres petits bijoux plus ou moins connus du grand public. Hobo est donc un hommage, sous forme de pastiche, aux films agressifs, sales et absurdes de ce qu'on a envie d'appeler le bon vieux temps.

«Le titre du film dit tout, explique Eisener. Ce titre vient d'une conversation avec des amis dans une pizzeria. On cherchait des idées pour un film. Un ami un peu pouilleux, aux cheveux longs et l'air clochard, qui avait un fusil à air comprimé, a dit: «Pourquoi ne pas faire un film sur moi?» Un autre a répondu: «Quoi? Le clochard à la mitraillette?» Le titre était génial, mais on s'est vite demandé quel scénario en tirer.»

Hobo With A Shotgun, projet fou, a eu son trois minutes de gloire dans l'étrange combo Grindhouse de Tarantino et Rodriguez, sous forme de fausse bande-annonce, avant de devenir un vrai film grâce à l'enthousiasme de Eisener, de ses complices, et du mystérieux aval du gouvernement canadien. Eisener, étonné et amusé d'avoir pu fabriquer une oeuvre aussi perverse et retorse avec l'appui des décideurs canadiens, s'interroge à propos de ce flou qui mine la production et la diffusion de films audacieux.

«C'est encore et toujours le problème du financement. Les films canadiens sont majoritairement payés par nos taxes, donc les décideurs sont hésitants, préférant investir dans la production de drames psychologiques que personne n'ira voir et qui ne feront pas un sou. Avec Hobo, je veux que les gens aient du plaisir. Les dialogues sont volontairement ridicules, mais vrais. J'aime l'idée que certains spectateurs vont en tirer un propos social déguisé. Je ne prêche rien, je ne fais pas la morale. C'est au spectateur de trouver le message.»

Message gros comme deux bras: Hobo, c'est la vengeance du pauvre contre toutes les crapules de ce monde, les nantis, les flics corrompus et les laissés pour compte perdus dans les pires bas-fonds de la détresse humaine. Tout cela présenté avec un cynisme sain et un humour libérateur.

Rutger Hauer

Rutger Hauer est une icône sous-estimée du cinéma de genre, du cinéma en général. Il fait penser à Klaus Kinski ou à Christopher Walken, acteurs superbes, intenses, inquiétants et ténébreux, au charisme indéniable, qui ont accumulé dans leur CV autant de navets que d'oeuvres marquantes. Eisener n'a que de belles et tendres choses à dire à propos de Rutger, qu'on a vu et aimé depuis Blade Runner et The Hitcher.

«Rutger était au sommet de ma liste. Des producteurs lui ont fait parvenir le scénario de Hobo, lui disant que ce n'était pas un rôle pour lui. Il a été d'autant plus intéressé. Je n'aurais jamais pensé qu'il accepterait. Il était mon idole. Son personnage de western, d'homme sans nom, lui va à merveille. Ses grands yeux bleus, son aura de mystère. Il est plus qu'un acteur. Il est un mentor qui connaît tous les trucs du métier. On est devenus amis.»