Retrouvant Philippe Le Guay, son réalisateur de L'année Juliette et du Coût de la vie, Fabrice Luchini voit en ces Femmes du 6e étage un énorme cadeau. Qu'il n'aura finalement apprécié qu'une fois le film terminé.

«Mais moi je ne lis que des génies littéraires! Qu'est-ce que tu veux qu'un scénario m'intéresse!». Mercredi, devant un café servi à la terrasse d'un hôtel cinq étoiles de la Place Vendôme, Fabrice Luchini s'emportait un peu. Au cours de cet entretien accordé à La Presse, l'acteur a notamment confié ne pas savoir lire un scénario de film. Et n'en retenir habituellement que tous les pièges.

«Je vois plutôt tout en négatif quand je lis un script, dit-il. Par exemple, le scénario que m'a proposé Philippe m'a semblé démago à la lecture, trop sentimental. Mais comme ce type est très malin, il ne m'a parlé que de littérature quand on s'est vus pour discuter des Femmes du 6e étage. Il ne m'a pas fait chier avec le cinéma. À vrai dire, il me prend tellement toujours par les sentiments que je finis par signer!»

Luchini ne s'en est jamais caché: le théâtre est au coeur de sa vie. Depuis quelques années, il met en outre son talent singulier au service de spectacles solos (dont deux ont été présentés à Montréal) au cours desquels il interprète les mots de grands auteurs. Le cinéma ne constitue à ses yeux qu'une façon de lui procurer la liberté de ses choix artistiques.

«Depuis Les nuits de la pleine lune, ma situation est plutôt enviable, fait-il remarquer. J'ai l'occasion de tourner un film par an et mes cachets sont corrects. Je vais là où l'on me paie et où j'ai l'occasion de travailler avec des gens raffinés et élégants. Je n'ai jamais connu de période creuse, mais tout ça reste quand même artisanal. Je suis très docile sur un plateau de cinéma, car je ne sais rien. Comme il s'agit avant tout d'un art du montage, il ne sert à rien de se prendre la tête. L'acteur n'a aucun contrôle.»

Une grande année

Il se trouve pourtant que Fabrice Luchini a cumulé les succès au cinéma au cours de la dernière année. D'abord avec Les invités de mon père, excellente comédie sociale et politique d'Anne Le Ny, dans laquelle il campait le fils de Michel Aumont. Son personnage de mari bourgeois autoritaire dans le Potiche de François Ozon a aussi fait mouche. Enfin, Les femmes du 6e étage a jusqu'à maintenant attiré plus de deux millions de spectateurs français dans les salles.

«On reste très humble face à tout ça, tient pourtant à souligner Luchini. Un acteur n'est pas responsable de grand-chose. Un autre comédien avait d'ailleurs été pressenti pour Les invités de mon père et on m'a appelé quand il s'est désisté. Catherine Deneuve ne voulait pas de moi au départ pour jouer son mari dans Potiche car elle estimait que j'étais trop jeune pour le rôle. Et pour ces Femmes du 6e étage, le scénario ne m'emballait pas plus qu'il ne le faut. Je ne voyais pas du tout où l'on s'en allait avec ça. J'étais même un peu déprimé sur le plateau. Ce n'est que quand j'ai vu le film avec le public que j'ai pu me rendre compte à quel point il y avait une vraie possibilité de rencontre. Même les intellos aiment ce film!»

Un rôle éblouissant

Campée en 1962, l'intrigue des Femmes du 6e étage se situe à une époque où les maisons bourgeoises de Paris étaient investies de domestiques espagnoles ayant fui le régime franquiste. Quelques-unes d'entre elles vont bouleverser l'existence d'un agent de change rigoureux, père de famille «coincé», en lui révélant les plaisirs simples de la vie. Et en injectant une bonne dose de chaleur humaine à cet homme éteint. Tout cela, malgré les conditions difficiles dans lesquelles vivent ces femmes au sixième étage de l'immeuble, un endroit que ne visite habituellement jamais le propriétaire de la maison. Parmi les actrices donnant la réplique à Fabrice Luchini, Carmen Maura, l'égérie d'Almodovar dans les années 80, et Natalia Verbeke. Sandrine Kiberlain joue par ailleurs magnifiquement le rôle de l'épouse bourgeoise.

«C'est grâce à ces actrices si le film obtient autant de succès, précise l'acteur. Et grâce aussi à mon rapport avec elles. Vous savez, je n'avais qu'un rôle absolument éblouissant dans ce film. C'est-à-dire que je devais être, en quelque sorte, Sainte Thérèse d'Avila! C'est un cadeau énorme que de jouer le rôle d'un homme qui observe le réel et qui en est illuminé. Il n'y avait aucun effort requis, car on me demandait de ne rien faire d'autre que d'être ce que je suis, tout en étant dans la rigueur des dialogues. Cela m'est très naturel, car je ne suis pas dans la psychologie quand je joue. Je ne réfléchis jamais. Je suis plutôt obsédé par le rythme des sons.»

À l'aube de ses 60 ans, Fabrice Luchini a la certitude «d'être du métier».

«Mais plus j'avance, dit-il, plus je suis conscient de mes limites. Je ne sais pas tout faire. Avec les années d'expérience qui s'ajoutent, on devient moins embarrassé de sa vanité, de son égo, on devient moins tendu par rapport au besoin de succès. Mais surtout, on s'aperçoit que nous ne sommes que l'acteur de l'homme qu'on est.»

Les femmes du 6e étage prend l'affiche le 3 juin.