Le film Moi Nojoom, 10 ans, divorcée de Khadija al-Salami, présenté dans le cadre du FNC, aborde de front le problème des mariages forcés des filles mineures au Yémen. Et rarement une cinéaste a été à ce point près de son sujet, puisqu'elle-même a été mariée de force et divorcée à 11 ans. Rencontre avec une femme qui a fait de la liberté des filles le combat de sa vie.

Le hasard a voulu que nous rencontrions Khadija al-Salami hier, soit le Jour international des filles décrété par l'ONU il y a cinq ans, qui souligne les défis auxquels font face les fillettes de cette planète, plus durement touchées par les injustices que les garçons. Parmi les écueils qu'elles doivent affronter, il y a les mariages forcés avant 18 ans. L'organisme Save the Children a publié pour l'occasion une étude révélant que toutes les sept secondes, une fille est mariée contre son gré dans le monde. Chaque année, elles sont 15 millions dans cette situation. «Les gens viennent de se rendre compte que si on ne fait pas quelque chose maintenant, au lieu de 15 millions, elles seront bien plus, dit Khadija al-Salami. Leur enfance est volée, leur droit à l'éducation aussi, et après un certain âge, elles n'ont plus de futur, et ça, c'est triste.»

Ce ne sont pas de simples statistiques pour Khadija al-Salami. Elle-même a vécu le mariage forcé, mais elle a résisté. «J'ai vécu des circonstances qui m'ont poussée à être différente. Pas seulement ce mariage. J'ai vu la vie de ma mère et de ma grand-mère. J'ai vécu une enfance très douloureuse, je voyais ma mère battue par mon père, je voyais plein de choses, et ça restait dans ma tête. Je ne voulais pas être comme elles, je voulais être une femme libre et indépendante, avoir une autre vie. J'ai combattu comme une folle. Quand j'ai été mariée, je me suis dit: soit je meurs, soit je vis la vie que j'ai envie de vivre. Et je savais que l'éducation était la clé.»

Khadija al-Salami a pu divorcer, mais sa famille l'a reniée. Elle vivait avec sa mère, elle-même divorcée. Elle allait à l'école le matin et travaillait l'après-midi dans une télévision locale. Une bourse lui a permis d'étudier aux États-Unis. Elle vit aujourd'hui à Paris, où elle a travaillé comme attachée culturelle à l'ambassade du Yémen, et elle est considérée comme l'une des premières femmes cinéastes de son pays, le plus pauvre des pays arabes. Tous ses films et ses documentaires, comme Amina, Une étrangère dans sa ville et Moi Nojoom, 10 ans, divorcée, concernent le sort des femmes. 

«J'ai consacré ma vie à combattre ce crime, puisque je l'ai vécu. J'aide aussi les filles qui demandent le divorce par tous les moyens. C'est mon combat.»

Tournage cauchemardesque

Et le cinéma fait partie de ce combat. Quand elle nous raconte les problèmes de son tournage au Yémen, on se dit que c'est pratiquement du cinéma-guérilla! Aucune infrastructure pour tourner un film, pas d'électricité, un kidnapping, la méfiance des gens, une expulsion d'un village après trois jours de tournage, des images qu'on lui a demandé de détruire. Un homme est même mort en tombant de son toit parce qu'il voulait regarder l'équipe au travail, et Khadija al-Salami a dû payer ses funérailles, car la famille la tenait responsable de l'accident. «C'était catastrophique», se souvient-elle, l'air découragé.

Mais pourquoi dans ces circonstances vouloir absolument tourner au Yémen? «Parce que c'était important et parce que c'est une histoire vraie», répond-elle, avant d'ajouter en riant: «Et parce que le Yémen, c'est un beau pays!» Ses images témoignent de la beauté époustouflante de ce coin du monde, malgré le difficile sujet de son film.

On sent aussi une intention d'éduquer dans Moi Nojoom, 10 ans, divorcée, qui s'inspire d'un cas célèbre, celui de Nojoud Ali en 2008, qui a obtenu le divorce à 10 ans. Les inégalités sociales et les traditions expliquent en partie le sort de l'héroïne. Khadija al-Salami reconnaît qu'enfant, elle considérait ceux qui l'avaient mariée comme «des monstres». Mais avec le recul, elle voit les choses d'un autre oeil. «Les principaux ennemis de ces gens sont la pauvreté et l'ignorance.»

«Quand j'étais petite, ma grand-mère me répétait tout le temps qu'une femme est née pour deux choses: soit être enterrée, soit être mariée. Et c'était pourtant une femme forte, tout le monde avait peur d'elle! Mais c'était dans son éducation de croire que les femmes étaient inférieures.»

La cinéaste estime qu'il y a des différences qui sont des richesses et d'autres qui sont mauvaises pour tout le monde. «Il y a de mauvaises traditions qu'il faut combattre. Les femmes en Occident ont combattu pour en arriver où elles sont. Nous sommes toutes les mêmes, nous avons toutes le désir de découvrir et d'être des égales.»

Refuser la peur

Comment, si jeune, Khadija al-Salami a-t-elle trouvé le courage de se rebeller contre son destin? «Je crois qu'on naît avec ça. Je n'ai jamais eu peur d'affronter ma famille. Peut-être aussi parce que j'aimais beaucoup la vie. J'ai eu cette force par amour de la vie et par haine de l'injustice. J'étais le mauvais exemple de la famille, et après, je suis devenue le meilleur exemple. Il ne faut jamais avoir peur, parce que sinon, on ne va jamais avancer ni faire avancer les autres.»

Aussi croit-elle au pouvoir du cinéma, dans ce pays où sévit l'analphabétisme. Des copies de son film circulent. Plus de fillettes ont demandé le divorce. Mais la guerre est arrivée et empêche toute progression. L'avenir est sombre pour les femmes au Yémen, en ce moment. «La priorité maintenant est de trouver un endroit pour se mettre à l'abri des bombardements, explique-t-elle. Près de 80 % de la population yéménite est actuellement menacée de famine. C'est pire que la Syrie. Les Saoudiens ont beaucoup d'argent, ils achètent des armes de partout et personne ne les dénonce parce qu'il y a beaucoup d'intérêts en jeu. C'est le premier pays qui viole les droits de l'homme. On parle de la démocratie et des droits, et on donne des armes à un pays que moi j'appelle le "grand Daech". Mais on ne dit rien parce que c'est un État et qu'il y a de l'argent en jeu. Je ne comprends pas ce qui se passe dans ce monde...»

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Le film Moi Nojoom, 10 ans, divorcée sera présenté ce soir à 19 h au FNC et sera à l'affiche dès le 14 octobre.