Je retire illico ce que j'ai écrit sur les cinéastes du Kurdistan après avoir vu au FFM un court métrage kurde, cafouilleux et incompréhensible. Hier, le Kurdistan s'est pour ainsi dire amendé avec House Without Roof (Maison sans toit), de la cinéaste kurde Soleen Yusef. Seulement âgée de 29 ans et réfugiée à Berlin depuis plusieurs années, Soleen était ravie de voir que le public montréalais était au rendez-vous pour la présentation de son film, hier, en fin de matinée.

Les problèmes du FFM, elle n'en avait cure. «Ce qui compte pour moi, c'est qu'il y ait des gens dans la salle et qu'ils apprécient le film.» Elle n'avait pas à s'inquiéter. Le public montréalais a chaudement applaudi son film et la plupart des spectateurs sont restés à la fin pour lui poser mille et une questions sur son film, mais aussi sur le Kurdistan, pays fragile, mal entouré, qui a connu son lot de guerres et de conflits et qui, encore à ce jour, est menacé d'occupation par les islamistes de l'État islamique, qui contrôlent Mossoul, à seulement une centaine de kilomètres.

Le film a été tourné au printemps 2015 à Dahuk, une ville irakienne de la région autonome du Kurdistan, là où Soleen a grandi avant de fuir avec ses parents en Allemagne où vivent quelque 5 millions de réfugiés kurdes.

House Without Roof, qui a été en partie financé par des fonds allemands, tourne autour d'une soeur et de ses deux frères kurdes, qui ont grandi en Allemagne.

À la mort de leur mère, ils décident d'exaucer ses derniers voeux et d'aller l'enterrer dans son village au Kurdistan à côté de la tombe de son défunt mari. 

On a rarement vu trois enfants aussi dépareillés. Liya est une chanteuse dans les bars, Jan, un control freak qui a réussi, et Alan, le paumé de la famille. Dès leur arrivée au Kurdistan, ils se heurtent à l'opposition de la famille de leur mère qui refuse obstinément qu'elle soit enterrée à côté de son mari. À leurs yeux, c'est un traître qui a vendu ses camarades de combat au régime de Saddam Hussein et qui a couvert la famille de honte. 

Très vite, le rituel religieux qui doit avoir lieu dérape, avant d'être interrompu par un rapt de cercueil, une poursuite sur les routes militarisées du Kurdistan et aussi des rencontres marquantes à la gloire de ce petit pays blessé et meurtri où la résilience existe malgré tout. Soleen Yusef a expliqué à la fin de la projection qu'elle avait voulu faire un film où les gens s'engueulent au lieu de se parler, mais où ils cherchent tous à leur manière une forme de paix et d'apaisement.

Je ne connais rien des Kurdes ni du Kurdistan, mais j'avoue que l'humanité des personnages transcendée par une magnifique scène d'enterrement m'a profondément touchée. Au Kurdistan, les maisons n'ont peut-être pas de toit et le pays est toujours à un cheveu de l'éclatement, mais les gens n'ont pas perdu leur dignité ni leur humanité comme le démontre admirablement ce film.

L'Uruguay au pilori

Les dictatures de l'Argentine et du Chili ont beaucoup fait parler d'elles et inspiré la littérature comme le cinéma. Mais on sait peu de choses sur la dictature en Uruguay qui, pendant 10 ans, de 1975 à 1984, a été particulièrement sanglante. C'est le sujet de Migas de Pan (Breadcrumbs) de la réalisatrice uruguayenne Manane Rodriguez. 

Le film plonge dans les souvenirs douloureux de Liliana, une photographe reconnue et respectée, mais qui dans sa jeunesse militante, alors qu'elle n'avait que 19 ans et était déjà la mère d'un enfant, a été arrêtée, torturée et violée par la junte militaire. Les scènes de torture sont graphiques et violentes et la brutalité du régime n'a de cesse, même pendant l'incarcération de Liliana et de ses camarades. 

Le film se termine sur une dénonciation publique entreprise par ces femmes qui demandent une enquête publique. Le film laisse entendre qu'elles ont peut-être été vengées par la justice. Dans la vraie vie, il n'en fut rien. Le général Miguel Dalmao, le seul accusé de la dictature, a eu un procès pour la torture et le meurtre d'une activiste de cette époque-là. Il a été reconnu coupable et condamné à 28 ans de prison. Mais il est allé en appel et depuis, l'affaire traîne sans se régler. Autant dire que dans un cas pareil, le cinéma fait oeuvre utile en révélant ce qui a été trop longtemps tu. C'est le grand mérite de ce film.

Un autre film a été présenté en compétition hier soir: The Fury, du Néerlandais André van Daren. J'en ferai le compte rendu demain. 

De la grande visite

En attendant, le FFM doit en principe recevoir de la grande visite dans les prochains jours. Isabelle Adjani a confirmé sa présence dimanche pour la présentation du film Carole Matthieu et, demain soir, l'acteur américain Willem Dafoe devrait normalement être dans la salle pour la présentation de My Hindu Friend, le dernier film, qualifié d'autobiographique par certains, du Brésilien Hector Babenco, mort récemment.

Willem Dafoe y incarne un cinéaste atteint d'un cancer incurable qui veut réaliser un dernier film avant de mourir. Autobiographique, vous avez dit?