Depuis sa sélection aux Oscars avec le film Mustang, la réalisatrice turque Deniz Gamze Ergüven est une étoile montante courtisée par le milieu du cinéma et ses stars. Aussi n'a-t-elle eu aucun problème l'an passé à trouver du financement pour Kings, projet sur lequel elle planchait depuis dix ans, ni à y attirer deux stars de Hollywood: Halle Berry, dans le rôle d'une mère Teresa du quartier South Central à Los Angeles, et Daniel - James Bond - Craig, dans le rôle d'un écrivain psychotronique qui joue de la carabine quand il pète les plombs, mais qui n'hésite pas à changer les couches des bébés adoptifs de mère Teresa.

Détail non négligeable: le film, présenté en première nord-américaine au TIFF, se déroule en 1992, quelques jours après le passage à tabac de Rodney King par des policiers blancs, et décrit les tensions sociales qui ont mené aux émeutes après l'acquittement des policiers.

Première question: que vient faire cette réalisatrice turque née à Ankara, mais qui a grandi en France, dans cette histoire américaine? Deuxième question: pourquoi les boucles de Halle Berry sont-elles si parfaitement placées et torsadées alors qu'elle est la mère adoptive d'une marmaille de plus de huit enfants, qu'elle vit dans le quartier le plus pauvre de la ville et qu'elle n'a pas un sou?

La réponse à ces questions et aux autres, c'est que ce film, sans réel point de vue, à cheval entre la tragédie et le burlesque, ne marche tout simplement pas et qu'il est même par moments un brin indécent. 

Il y a bien sûr quelques beaux moments parce qu'Ergüven est, à l'évidence, une réalisatrice de talent. Elle sait créer des ambiances, nous entraîner dans le quotidien fébrile et tapageur d'une maison remplie d'enfants. Elle sait recréer la violence inouïe qui a explosé pendant sept jours. Elle a d'ailleurs expliqué au public, hier, qu'elle avait passé de longs mois dans South Central pour sa recherche sur cette époque où aucun des résidants n'aurait parié sur l'élection d'un président noir.

Le sujet des émeutes la hantait depuis 2006, année où on lui a refusé la nationalité française, bien qu'elle soit arrivée en France à l'âge de 2 ans. Mais elle semble s'être égarée en cours de route et avoir trop laissé les producteurs et leurs impératifs commerciaux prendre le dessus et encourager une certaine inconscience.

Mercredi soir après la première du film, une grande fête a eu lieu dans un chic bar à vodka qui avait préparé un cocktail de circonstance: le Berry Riot. Sachant que les émeutes de Los Angeles ont fait 63 morts, 2300 blessés, qu'il y a eu 11 000 arrestations et plus de 1000 édifices détruits par le feu, on se dit que les concepteurs du Berry Riot auraient pu se garder une petite gêne.

Diane Kruger et les néonazis

La robe en lamé argenté était signée Prabal Gurung, designer d'origine népalaise. Dans toute autre circonstance, Diane Kruger aurait eu raison de s'y glisser. Mais au Winter Garden où avait lieu la première nord-américaine d'In the Fade de Fatih Akin, film où il question de néonazis, d'attentats terroristes et de vengeance, la robe n'était pas aussi indécente que le Berry Riot, mais quand même inopportune. 

Sans doute Diane Kruger voulait-elle nous rappeler par cette robe de star qu'elle avait remporté la palme d'interprétation féminine à Cannes, cette année, pour son rôle dans In the Fade, où elle incarne une femme qui perd son mari et son petit garçon dans un attentat terroriste. Non pas que cette palme ne soit pas méritée. La scène où Katya revient chercher ses deux hommes après un 5 à 7 de filles, avant de basculer dans l'horreur, brise le coeur. Diane Kruger est très convaincante en mère folle de rage et de douleur. Elle dit d'ailleurs s'être inspirée de son propre chagrin alors que cette année-là, elle a perdu coup sur coup son beau-père et son grand-père.

Étonnamment, c'est la première fois que l'actrice, qui est pourtant née en Allemagne, y tourne un film. «J'ai tourné en France, aux États-Unis, mais jamais dans mon pays d'origine. Je ne sais pas pourquoi. Il y a cinq ans, j'ai rencontré Fatih à Cannes et je lui ai fait part de mon désir d'un jour travailler avec lui. Ce jour est arrivé, et après coup, je me suis rendu compte que Fatih, qui est d'origine turque, m'avait aidée à retrouver l'Allemande en moi», a-t-elle déclaré au public du Winter Garden.

Pour le reste, In the Fade est une étrange proposition, campée à Hambourg, ville où est né Fatih Akin.

Alors que les attentats terroristes perpétrés par des intégristes religieux ravagent l'Europe, y compris l'Allemagne, voilà qu'il nous arrive avec un attentat terroriste signé par deux jeunes néonazis. Or s'il est vrai que le mouvement néonazi en Allemagne est violent, haineux et occasionnellement meurtrier, les attentats terroristes ne font pas partie de son modus operandi ou, du moins, rien de comparable à ceux commis par les intégristes sympathisants de l'État islamique. Pour se défendre, Akin prétend que son film ne porte pas sur le terrorisme, mais sur la douleur d'une femme aveuglée par sa perte.

À cet égard, le cinéaste a eu la bonne idée d'éviter le cliché hollywoodien de la mère éplorée et en deuil de sa famille qui se transforme en ninja pour venger les siens. Reste qu'Akin a choisi une fin radicale que l'on taira, mais qui ne risque pas d'apaiser la haine des néonazis. In the Fade sortira bientôt en Allemagne et Fatih Akin s'attend déjà à ce que le film ne fasse pas l'unanimité. En fait, il ne fait pas que s'y attendre, il l'espère ardemment. «Sinon, m'a-t-il lancé, mon film serait raté.»

photo fournie par le TIFF

La performance de Diane Kruger dans In the Fade lui a valu la palme d'interprétation féminine à Cannes.

Gollum passe derrière la caméra

Pour ses fans, l'acteur Andy Serkis sera toujours Gollum dans Le seigneur des anneaux ou alors Snoke dans Star Wars. Mais l'acteur a une double vie depuis 2011, année où il a fondé sa compagnie de production avec son ami Jonathan Cavendish. Bien qu'il ait dirigé la deuxième équipe de tournage du film The Hobbit, il présentait au TIFF son premier vrai film à titre de réalisateur: Breathe, mettant en vedette Andrew Garfield et Claire Foy, dans un rôle très différent de celui de la reine Élisabeth qu'elle incarne dans la série The Crown de Netflix. 

Or, le hasard faisant bien les choses, Breathe raconte l'incroyable aventure de Robin et Diana Cavendish, les parents de Jonathan Cavendish, le partenaire de production de Serkis. Paralysé par une polio qui s'est attaquée à ses poumons et qui l'empêchait de respirer, Robin Cavendish était condamné à mourir à petit feu à l'hôpital, branché à vie à un respirateur artificiel. Sa femme refusa de voir son mari dépérir de cette manière et lui fit patenter un respirateur mobile lui permettant de vivre à la maison, puis un fauteuil roulant avec respirateur intégré lui permettant de se déplacer dehors. Tout cela à une époque où les droits des handicapés, y compris le droit à une vie relativement normale, n'avaient même jamais été envisagés. Bref, les Cavendish ont été des pionniers dans le domaine et leur histoire n'avait jamais été racontée. C'est désormais chose faite.

photo fournie par le TIFF

Claire Foy et Andrew Garfield dans le film Breathe, première véritable réalisation de l'acteur Andy Serkis.