Dix ans après le controversé Cauchemar de Darwin, le cinéaste autrichien Hubert Sauper poursuit son travail sur l'Afrique en présentant au Festival de Sundance We Come As Friends, une réflexion sur le colonialisme, «pathologie collective qui dure depuis des siècles».

Réalisé sur une période de six ans, We Come As Friends a pour toile de fond le Soudan du Sud, au moment de la sécession avec le Soudan voisin, en 2011. Le cinéaste y montre la main-mise des Occidentaux et des Chinois sur les ressources du pays, sous prétexte de développement «dans l'intérêt du pays».

«C'était un pari terrible, ce film», déclare Hubert Sauper à l'AFP à Park City, où se tient jusqu'à dimanche la 30e édition du festival du cinéma indépendant de Sundance. «Le thème central est le colonialisme, que je vois comme une pathologie collective, qui dure depuis des siècles. Une pathologie à la fois omniprésente et camouflée par notre civilisation», dit-il.

«C'est incroyable de voir comment on peut continuer à tuer des gens et des civilisations, en trouvant à chaque fois de nouveaux discours pour s'excuser soi-même et pervertir l'histoire en se disant «Nous sommes là pour aider l'Afrique»», ajoute-t-il.

«Les gens qui sont sur place, qui travaillent pour l'ONU par exemple, sont convaincus que s'ils n'étaient pas là, ce serait le chaos et le génocide. Mais très peu de gens se rendent compte qu'ils sont eux-mêmes la cause du chaos», estime-t-il.

Construit comme une succession de séquences indépendantes, constituant chacune un exemple édifiant, We Come As Friends montre plusieurs visages de ce «colonialisme» qui ne dit pas son nom: puits de pétrole chinois, missionnaires distribuant des bibles audio tout en récupérant des terres pour leurs maisons ou acquisition pour une bouchée de pain, par une entreprise américaine, de centaines d'hectares auprès d'un vieillard qui ne savait pas ce qu'il signait.

Comme il l'avait déjà prouvé dans Le cauchemar de Darwin, Hubert Sauper aime provoquer la réflexion avec des scènes ancrées dans la réalité, d'apparences parfois anodines, mais qu'il investit d'une signification supérieure.

Comme cette scène où des missionnaires font enfiler des chaussettes et des sandales à un enfant nu, malgré ses cris et ses pleurs.

«Donner des chaussettes blanches à un enfant nu, cela ne ressemble pas à un crime. Mais je pense que c'est la graine du crime. Car pourquoi mettre des chaussettes à un enfant, si ce n'est pour en faire un soldat, qui portera chaussettes, chaussures, uniforme et fusil pour garder nos raffineries en Afrique?», lance-t-il.

«Avec ce film, j'ai compris à quel point certains petits gestes sont énormes», ajoute-t-il.

Pour se déplacer au Soudan du Sud et dans les pays voisins, Hubert Sauper a utilisé un petit avion, «une tondeuse à gazon volante» de sa fabrication, qui devient un élément central du film.

«L'avion, c'était la clé de tout le projet», dit-il. «C'était notre cheval de Troie pour y arriver. On tombait du ciel et les Chinois disaient: «C'est quoi ce truc?». Pareil avec les militaires: ils étaient sous le choc de nous voir. Ils voyaient qu'on ne larguait pas de bombes, ils se moquaient beaucoup de l'avion et ça facilitait beaucoup le contact».

Allergique aux documentaires voulant «changer le monde», Hubert Sauper revendique une démarche d'artiste. «Je ne fais pas des films pour une cause. Je fais des films parce que je suis un artiste. Je représente le monde avec étonnement et j'essaie de retracer son énigme», affirme-t-il.

Si le «diagnostic» du film ne laisse pas beaucoup de place à l'espoir - comme c'était déjà la cas dans Le cauchemar de Darwin, nommé pour l'Oscar du documentaire en 2006 - le cinéaste se veut pourtant «très optimiste».

«Les gens qui ont le pouvoir sont beaucoup plus réactifs qu'actifs. Ils réagissent à un climat, à l'opinion publique. L'opinion publique a beaucoup plus de pouvoir qu'on ne le croit, même s'il n'est pas immédiat», dit-il.