On l'a appelé le James Dean végétalien. River Phoenix ne mangeait pas de viande ni de produits laitiers, refusait de porter du cuir, était écolo avant l'heure et militait pour les droits des animaux et des humains. Cela ne l'a pas empêché de mourir à 23 ans sur l'asphalte sale de Sunset Boulevard. Crise cardiaque? Surdose de drogues? Cela n'a jamais été clair.

C'était le 31 octobre 1993 au tiers du tournage du film Dark Blood, un huis clos sur la question indienne tourné dans le désert de l'Utah et réalisé par le Néerlandais George Sluizer.

River Phoenix était descendu à Los Angeles pour compléter les scènes intérieures. Il est mort avant, et le film est mort avec lui. Enfin presque.

Hier à la Berlinale, comme le phoenix qui renaît de ses cendres, le film est réapparu sur grand écran avec ses images sublimes et son propos sur les Indiens, plus actuel que jamais, avec un River Phoenix en pleine possession de ses moyens, une Judy Davis jeune et insolente et avec ici et là, des images qui figent et la voix du George Sluizer qui lit la scène manquante et nous donne à voir ce qui n'a existé que sur papier.

Dernier acte de défi

Le film tourné il y a 20 ans n'a pas vieilli d'un poil. Ce n'est pas le cas de son réalisateur qui accuse ses 80 ans, miné par une maladie qui l'a décidé en 2009 à terminer le film avant qu'il ne soit trop tard.

Voir ce vieil homme frêle qui marche péniblement vers sa place à la table de conférence, suivi par son directeur photo aussi vieux et malade que lui et par l'acteur Jonathan Pryce plus très jeune lui non plus, avait quelque chose à la fois de noble et d'émouvant.

George Sluizer a tenu à faire le voyage à Berlin comme un ultime hommage, mais aussi comme un dernier acte de défi contre la compagnie d'assurances qui lui demande un prix exorbitant pour libérer les droits d'exploitation du film.

«Ce sont des milliardaires qui possèdent toutes sortes d'entreprises. Le cinéma, ils n'en ont rien à foutre. La culture non plus. Ce qui compte pour eux, c'est le fric. Ils ne veulent rien en bas de 500 000 millions. C'est insensé!» a fulminé le vieux réalisateur.

Trésor préservé

Pour comprendre sa rage, il faut savoir qu'entre 1993 et 1999, Sluizer n'a pas eu accès aux bobines de son film, placées dans une voûte par la compagnie d'assurances.

En 1999, quand la compagnie a voulu les détruire, le réalisateur s'est précipité pour les récupérer et les placer en lieu sûr. Dix années se sont écoulées. George Sluizer était pris avec d'autres projets.

«Finalement en 2009, a-t-il raconté, quand je suis tombé malade, je me suis mis à travailler sur Dark Blood par souci de préservation et par devoir de mémoire. Il me manquait au moins 25% du matériel. Pas seulement les scènes que nous n'avions pas pu tourner. Des bobines entières du film ont disparu».

Le réalisateur a réussi malgré tout à accoucher d'une vraie histoire: celle d'un couple de Hollywood qui part en fin de semaine d'amoureux à Las Vegas. Leur rutilante Bentley tombe en panne dans le désert. Ils trouvent refuge chez un jeune Indien veuf qui vit seul avec son chien au milieu d'un vaste territoire indien. Il commence par les accueillir puis les prend en otage, comme s'il voulait leur faire vivre ce que pendant trop longtemps les Blancs ont fait vivre aux Indiens.

Devenir un fantôme

River Phoenix est totalement convaincant dans ce rôle d'homme fou et blessé. Et quand, au moment de mourir il chuchote, «ça y est, je m'en vais», on ne peut pas s'empêcher d'y voir une douloureuse prémonition.

Edward Lachman, un grand directeur photo qui a travaillé avec Robert Altman, Sofia Coppola, Wim Wenders, Steven Soderberg, a tourné la dernière prise à jamais de River Phoenix.

«C'était une scène dans l'abri nucléaire avec Judy Davis, a-t-il raconté. Après les quatre prises, on a éteint les réflecteurs, mais la caméra a continué à tourner. Sur la pellicule, on voit la silhouette de River découpée par la lumière du jour. Il est debout, ne bouge pas et puis subitement s'approche de la caméra et bloque l'image avec son corps comme s'il venait de passer dans l'autre monde et de devenir un fantôme.»

Hier à Berlin, on n'a pas vu de fantôme. Seulement l'image magnétique d'un acteur mort trop jeune.

Serait-ce le Kazakhstan?

Cela fait un peu plus d'une semaine qu'on cherche un ours d'or parmi les 19 films de la compétition. On l'a peut-être trouvé hier et pas n'importe où: au Kazakhstan. Harmony Lessons, une fable sur l'intimidation réalisée par Emir Baigazin, un Jean-Claude Lauzon kazakh, pourrait très bien l'emporter. Si oui, vous l'aurez lu ici en premier.