L'installation en Corée du Sud du bouclier antimissile américain devait les protéger de la folie de Pyongyang. Mais pour les anciens vivant à proximité, il n'a fait que bouleverser une vie paisible et raviver les traumatismes hérités de la guerre.

C'est la thèse que défend le réalisateur sud-coréen Park Bae-Il dans son documentaire Soseongri - un des plus attendus du 22e Festival international du film de Busan (12-21 octobre) - qui propose un point de vue rare sur le déploiement controversé du système THAAD (Terminal High-Altitude Area Defense).

Séoul a annoncé en 2016 l'installation de ce puissant dispositif pour contrer la menace balistique d'un régime nord-coréen doté de l'arme nucléaire.

La presse internationale a largement relayé les polémiques liées au THAAD, la farouche opposition de la Chine qui y voit une menace pour sa propre sécurité, la colère des habitants du comté de Seongju choisi pour l'accueillir...

Soseongri est le village le plus proche de l'ancien parcours de golf où les batteries du THAAD ont été installées en mars. Pendant des mois, il a été le théâtre d'affrontements entre forces de l'ordre et activistes qui tentaient d'empêcher les camions militaires américains d'approcher.

Avec son documentaire de 89 minutes, M. Park décrit les impacts locaux d'une problématique globale. Et montre comment une course régionale aux armements a bouleversé la vie - apparemment ennuyeuse mais fondamentalement paisible - des habitants âgés du coin. Il raconte ce faisant le rejet des armes et de la guerre qui transpire dans leurs discours.

«Visage humain d'une controverse»

«Les médias n'ont parlé du THAAD qu'au travers de la politique et de la diplomatie, ne montrant que très rarement le visage humain de cette controverse, ne donnant pas à écouter l'opinion des gens qui vivent à côté», a déclaré le réalisateur à l'AFP.

Le film, dont c'est la première au Festival de Busan, documente la confusion, la colère ou la crainte de ces hommes et femmes souvent âgés de plus de 70 ans. Ils ont passé toute leur vie dans une localité qui devient soudain l'épicentre d'une crise internationale.

Dans le ciel, des hélicoptères de l'armée. À terre, des énormes camions avancent péniblement sur une route bondée de manifestants anti-américains, d'habitants remontés et de centaines de policiers.

On voit des gens dire leur crainte que THAAD ne fasse de leur village une cible prioritaire du régime nord-coréen en cas de guerre. Mais il y aussi les contre-manifestations des partisans du bouclier antimissile qui accusent les villageois d'être «des partisans nord-coréens» qui devraient être «battus à mort». Ambiance.

«Tout cela nous rappelle la guerre», confie un ancien. Trois années (1950-1953) de bombardements aériens, où des civils étaient tués au nom de l'idéologie.

«Quand quelqu'un était battu à mort, on courait dans les bambouseraies pour ne pas entendre les cris», se souvient un autre.

Des millions de personnes ont péri dans un conflit qui a acté la division d'une péninsule toujours techniquement en guerre, faute de traité de paix.

«Nous étions attaqués par l'aviation pendant la guerre», rappelle un villageois faisant la distinction entre le passé violent et le présent tumultueux. «Mais aujourd'hui, nous sommes touchés au coeur.»

Le sujet est grave, mais l'essentiel du film est fait de tranches de vie sereines et souvent comiques montrant les anciens travaillant dans les rizières ou blaguant dans une salle communautaire.

Au final, le message antimilitariste du film pourrait paraître naïf et idéaliste quand pointe au travers des outrances de Washington et Pyongyang la menace d'une guerre apocalyptique, reconnaît M. Park.

D'autant que le THAAD est loin de susciter un rejet unanime en Corée du Sud.

«Mais il est aujourd'hui plus important que jamais d'écouter les voix de ceux qui ont connu les horreurs de la guerre», plaide-t-il.