Après San Francisco, Vancouver, puis Toronto, au tour de Montréal d’être plongé dans une impitoyable crise du logement. Deux réalisatrices tendent le micro à certains de ses malheureux personnages principaux.

Ici, de toutes nouvelles tours de condos. Là, et presque à leurs pieds, des tentes dispersées. C’est sur ces images chocs pour le moins contrastées que commence Ma cité évincée, un documentaire engagé signé Laurence Turcotte-Fraser (The End of Wonderland) et Priscillia Piccoli (Mathieu, prix Fond Bell), en salle ce vendredi, dans un cinéma indépendant près de chez vous.

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Le documentaire Ma cité évincée sort en salle ce vendredi.

Les deux réalisatrices de la relève se sont lancées caméra à l’épaule en pleine pandémie dans un projet de cinéma direct, en suivant des sans-abri dans un campement, des travailleurs dans un centre de jour et un groupe de résidants menacé d’éviction, notamment. Objectif : proposer un film choral, remettant l’« humain », son vécu et ses émotions au cœur de l’équation d’une crise par ailleurs criante d’actualité.

Il faut entendre un sans-abri lancer : « Ce n’est pas du camping, c’est de la survie ! ». Et cette directrice d’un centre d’hébergement quasi confirmer : « Il n’y en a pas, de logements. Il n’y en a juste pas ! »

Vous l’aurez deviné, les réalisatrices ne se sont pas non plus privées de repartager cette malheureuse déclaration du premier ministre François Legault, en 2021, selon qui un logement, à Montréal, commencerait soi-disant « à partir de 500 à 600 $ par mois… »

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Ma cité évincée est un documentaire qui met l’humain au centre de l’équation de la crise du logement.

La parole aux résistants

Sacré coup de dés : Laurence Turcotte-Fraser et Priscillia Piccoli ont jeté ici leur dévolu sur les résidants du Manoir Lafontaine, une histoire, souvenez-vous, qui a fait les manchettes en 2021, qui en est venue à incarner la lutte des locataires contre les rénovictions. Une histoire, surtout, au dénouement heureux, qui donne un fil conducteur à un film qui, par bouts, en manque légèrement.

« On a surtout voulu donner la parole à des gens qui faisaient de la résistance, explique Laurence Turcotte-Fraser en entrevue, dans un petit café de la rue Saint-Viateur où leur projet est né. On voulait suivre des gens qui voulaient changer des choses. Peut-être que je suis optimiste ou idéaliste, mais je me disais que ça pourrait peut-être donner quelque chose de beau. »

Gros risque, quand on sait à quel point les histoires d’évictions pour cause de rénovations finissent mal, en général.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Priscillia Piccoli et Laurence Turcotte-Fraser

On a besoin d’espoir ! On a besoin de savoir que la mobilisation et les efforts ne servent pas à rien.

Laurence Turcotte-Fraser, coréalisatrice

C’est aussi animées d’un profond sentiment d’injustice et d’une soif d’humanité que les deux réalisatrices se sont lancées dans ce tournage : Priscillia Piccoli, après avoir elle-même fait du bénévolat dans un centre de jour pour personnes en situation d’itinérance (« j’avais besoin de retrouver l’humain, je voulais aider ! »), et Laurence Turcotte-Fraser, qui a d’abord pensé réaliser quelque chose sur le phénomène à Vancouver, avant de se raviser, actualité oblige. « J’ai une amie qui faisait une maîtrise en sociologie sur le phénomène de l’itinérance en Colombie-Britannique, j’avais comme projet de faire un film là-dessus, j’ai commencé mes recherches, et puis la pandémie est arrivée et je me suis rendu compte que ça se passait à Montréal ! »

Quoi, exactement ? « Quand des personnes avec des métiers essentiels dans des villes ne peuvent plus y vivre et y élever leurs familles, résume-t-elle, parce que l’immobilier devient un levier d’investissement. […] C’est un phénomène hyper spéculatif qui est arrivé en pleine pandémie mondiale. »

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Un film réalisé tel un cri du cœur, disent les réalisatrices Priscillia Piccoli et Laurence Turcotte-Fraser.

« Notre film est un cri du cœur, ajoute Priscillia Piccoli, on l’a fait dans l’urgence, parce qu’on le voyait venir ! »

Ça ne s’invente pas, en plein tournage, Laurence Turcotte-Fraser a perdu son logement, à quelques rues d’où nous sommes assises pour l’entrevue, rue de l’Esplanade. « J’ai reçu mon avis d’éviction un 23 décembre, et j’ai paniqué, se souvient-elle. Je me suis rendu compte : je ne suis pas chez nous. Mais je ne suis pas aussi forte que les gens du Manoir Lafontaine, parce que je ne me suis pas battue. »

N’empêche qu’avec leur film, les deux réalisatrices, qui plaident pour de nouvelles lois en matière d’habitation, la construction de logements abordables et, surtout, leur quantification (« c’est quoi, un logement abordable ? »), espèrent ici éveiller un peu les consciences. « On est un canari dans la mine, concluent-elles. Mais on n’a pas envie d’attendre. Plus on attend, et plus il y aura, des gens dans la misère. Et on ne veut pas vivre dans une société comme ça. »

En salle

Ma cité évincée

Documentaire

Ma cité évincée

Laurence Turcotte-Fraser et Priscillia Piccoli

1h 20