La bande-annonce du nouveau film de Brandon Cronenberg, comme toutes les bandes-annonces, en révèle beaucoup (trop) sur l’intrigue d’Infinity Pool. Mais ne comptez pas sur le cinéaste torontois pour s’expliquer sur le sens à donner à ce film à suspense de science-fiction sanglant, mystérieux et assez tordu, merci.

S’il n’en tenait qu’au cinéaste de 43 ans, les cinéphiles iraient idéalement au cinéma vierges de toute image et de toute information. Même s’il est conscient que pour les attirer dans les salles, a fortiori ces jours-ci, il faut bien se dévoiler un peu.

« Je ne dis pas que ce n’est pas important de connaître le point de vue de l’artiste, m’a-t-il confié en entrevue Zoom cette semaine. Mais en tant que spectateur, l’intention de l’artiste peut nous influencer », dit-il.

PHOTO GEORGE PIMENTEL, LA PRESSE CANADIENNE

Le réalisateur Brandon Cronenberg à la première canadienne d'Infinity Pool, àToronto

Voir un film est une expérience subjective. Je ne veux pas empêcher le public de tirer ses propres conclusions, d’être en désaccord et d’en discuter. C’est quelque chose qui est au cœur de l’art.

Brandon Cronenberg

Infinity Pool (Débordement, en version française), présenté en primeur au Festival de Sundance le week-end dernier avant de prendre l’affiche ce vendredi, met en scène un couple bien nanti qui s’ennuie en vacances dans la station balnéaire luxueuse d’une dictature fictive d’Europe de l’Est, où l’on retrouve de l’extrême pauvreté, un procédé de clonage révolutionnaire et quelques piscines à débordement.

PHOTO GEORGE PIMENTEL, LA PRESSE CANADIENNE

Brandon Cronenberg

James (Alexander Skarsgård), un romancier en panne d’inspiration, broie du noir à la plage aux frais de sa femme Em (Cleopatra Coleman), la fille de son richissime éditeur. L’énigmatique séductrice Gabi (Mia Goth), une admiratrice de James, et son mari Alban (Jalil Lespert) vont mettre du piquant dans ces vacances ternes. Il n’y a rien comme la flagornerie – et plus si affinités – pour gonfler un ego meurtri. James sera bientôt plongé dans un tourbillon de violence, d’horreurs, de sexe et d’hallucinogènes.

Accusé de délit de fuite ayant causé la mort d’un père de famille lors d’une escapade interdite à l’extérieur des murs barbelés d’un complexe hôtelier, James aura à faire un choix tout sauf cornélien : être exécuté par le fils aîné de sa victime ou, moyennant une généreuse somme forfaitaire, assister en direct à la mise à mort de son double...

« Réalisme magique »

Lorsqu’il a commencé à écrire, en 2014, la nouvelle qui est par la suite devenue une bande dessinée puis un scénario de film, la première idée qui a jailli dans l’esprit de Brandon Cronenberg est cette scène de mise à mort étrange.

Cette idée que quelqu’un pourrait faire exécuter son double à sa place. Un double qui a exactement les mêmes souvenirs que soi et qui s’interroge sur son identité. Je m’intéressais à la psychologie du châtiment.

Brandon Cronenberg, cinéaste

Ça vous semble sordide ? Ce l’est probablement au-delà de ce que vous pouvez imaginer, avec un soupçon de body horror à la Cronenberg père, des masques de similichair évoquant les toiles de Francis Bacon, du gore aussi frappant que celui d’Irréversible de Gaspar Noé, des flots d’hémoglobine et du sexe tantôt halluciné, tantôt graphique (avec notamment, dans sa version non censurée, une éjaculation plein écran qui m’a rappelé L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie). Le tout dans un enrobage visuel cauchemardesque à la David Lynch, où l’on ne distingue pas toujours le réel du rêvé.

« C’est presque comme un film de réalisme magique, d’une certaine manière, même si c’est de la science-fiction, explique le cinéaste. Cela n’a pas nécessairement de sens dans le monde réel. Le cadre semi-réaliste, avec ce twist absurde, permet de développer une idée de manière plus métaphorique. »

On pense aussi bien sûr à Dead Ringers, pour le double et son effet miroir, à la série White Lotus, pour les privilèges de la richesse dans un paysage idyllique (les scènes de bord de mer ont été tournées en Croatie), ainsi qu’à la célèbre chanson des Eagles Hotel California, pour les règles non écrites de cet hôtel très particulier. You can check-out anytime you like, but you can never leave...

PHOTO CHARLES SYKES, INVISION, FOURNIE PAR ASSOCIATED PRESS

Le cinéaste Brandon Cronenberg a assisté à la première mondiale d’Infinity Pool au Ray Theater de Park City, en Utah, le 21 janvier dernier, dans le cadre du Festival du film de Sundance.

Il y a de nombreuses années, Brandon Cronenberg s’est retrouvé dans un hôtel tout inclus qui lui a inspiré le contexte de son troisième long métrage. Le cadre surréaliste idéal pour camper des personnages sans foi ni loi, qui agissent comme s’il n’y avait pas de conséquences à leurs actes.

« On est arrivés en bus au milieu de la nuit et on nous a déposés dans une station balnéaire entourée de barbelés. Comme dans le film, on ne pouvait pas sortir. On était en quelque sorte coincés là, dans une sorte de fausse ville Disneyifiée. À la fin, on nous a ramenés à l’aéroport en après-midi et c’est seulement à ce moment-là qu’on a vu l’incroyable pauvreté autour du complexe hôtelier. Le contraste était frappant. On a réalisé qu’on n’était jamais vraiment entrés dans le pays. On était dans un pays touristique séparé, dans une autre dimension. »

Un peu de censure

Infinity Pool, qui sera aussi projeté à la Berlinale à la mi-février, prend l’affiche en Amérique du Nord dans une version censurée d’une dizaine de secondes de scènes de sexualité plus explicites, me dit-on chez son distributeur. Ce qui ne semble pas déranger Brandon Cronenberg outre mesure.

Je commence généralement par faire le film que je veux faire. Ensuite, si je dois en modifier certains aspects pour une deuxième version, je le fais. C’est une sorte de réalité pragmatique du cinéma.

Brandon Cronenberg, cinéaste

« C’est la nature de cette forme d’art. La version non censurée existe. Les deux versions ne sont pas très différentes. Je serais vraiment content que les gens aillent le voir au cinéma. C’est ce qui m’importe », ajoute-t-il.

J’ai vu Antiviral de Brandon Cronenberg, au Festival de Cannes, en 2012. J’y ai assisté à une conférence de presse de Cronenberg fils et père. Si le premier long métrage de Brandon semblait emprunter au cinéma de David, on a l’impression qu’Infinity Pool transcende les plus récents films du paternel à bien des égards. Un peu plus de dix ans plus tard, je n’ai pu m’empêcher de lui poser une question sur son célèbre père.

« C’est une question méta, parce qu’il est question de votre père, mais en avez-vous assez des comparaisons avec lui ?

– Non, ça va. On m’en a le plus parlé pour Antiviral, mais il y a toujours des questions sur lui. Je savais aussi que ce serait le cas quand je me suis lancé dans le cinéma. C’était inévitable.

– Sauf si vous aviez fait des comédies romantiques...

– On m’aurait demandé pourquoi je fais le contraire [de mon père] ! Je sais que je ne peux y échapper, mais je l’avais prévu. »

En salle ce vendredi

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