Tandis qu’il entame une liaison avec un voisin, un scénariste se rend dans la maison de son enfance où il retrouve ses parents, morts 30 ans plus tôt.

En 1988, un an après la parution de Présences d’un été, roman à saveur fantastique de Taichi Yamada, Nobuhiko Obayashi en tirait une adaptation fidèle, le film d’horreur Les désincarnés. Un scénariste divorcé et père de famille rencontrait un couple ressemblant étrangement à ses parents, morts 30 ans plus tôt. Or, comme le lui affirmait son énigmatique voisine et nouvelle conquête, il s’agissait de revenants malveillants.

Entre les mains d’Andrew Haigh (Lean on Pete, 45 Years), le roman de Yamada (mort à 89 ans en novembre dernier) prend une tout autre tournure. En fait, c’est comme s’il poursuivait sa réflexion sur l’amour entamée dans Weekend (2011), où deux hommes s’étant rencontrés dans un bar apprenaient à se connaître après avoir passé une nuit ensemble, à laquelle il aurait ajouté une bouleversante étude du deuil et des traumatismes de l’enfance. On retrouve d’ailleurs dans All of Us Strangers une mémorable soirée dans un bar où l’alcool et la kétamine perturbent les sens et la perception de la réalité.

Adam (Andrew Scott), scénariste célibataire et solitaire, reçoit la visite de Harry (Paul Mescal), qui habite la même tour déserte en banlieue de Londres. Bouteille à la main, l’énigmatique jeune homme aimerait bien passer la soirée chez le quadragénaire, mais ce dernier repousse ses avances. Peu de temps après, Adam, qui a perdu ses parents dans un accident d’auto 30 ans auparavant, retrouve son père (Jaime Bell) et sa mère (Claire Foy), tels qu’ils étaient à l’époque, dans la maison où il a grandi. De retour chez lui, Adam se rapproche alors de Harry, avec qui il vit une liaison aussi tendre que torride.

Fragments du scénario d’Adam, fantasmes, rêveries, rêves récurrents, phénomènes paranormaux ? Peu importe la voie sur laquelle Andrew Haigh a voulu entraîner le spectateur, c’est l’émotion qui l’emporte tout au long de ce drame où le personnage central semble traverser la vie dans un état somnambulique ou comme s’il était prisonnier d’une mélancolie ambiante. Ayant perdu ses parents au début de sa puberté, Adam ne saura jamais ce qu’ils auraient pensé de leur fils, de sa carrière, de son orientation, des secrets douloureux qu’il leur aurait cachés.

Au fil des conversations avec son père et sa mère, ensemble ou séparément, c’est leur approbation que le scénariste recherche. Adam ira même jusqu’à vouloir leur présenter Harry, qui prend de plus en plus de place dans sa vie.

Si chaque rencontre s’avère heureuse, chacune est également teintée d’une tristesse de plus en plus envahissante qui étreint le cœur, comme si Adam avait l’intuition que ce pourrait être la dernière fois qu’il rattrape le temps perdu avec ses parents.

À coups d’irrésistibles succès des années 1980, dont la version des Pet Shop Boys d’Always on My Mind et la bouleversante power ballad de Frankie Goes to Hollywood The Power of Love, Andrew Haigh souligne la nostalgie de l’enfance qu’éprouve Adam. Quiconque a perdu des êtres chers appréciera la délicatesse et la justesse avec lesquelles le cinéaste traduit la crainte d’oublier leur voix, leur visage, leur parfum.

Tandis que le drame s’achève sur une note inattendue et troublante, Andrew Haigh abandonne le spectateur à ses interrogations sur son rapport à la mort, à l’amour qu’on voue aux disparus, de même qu’à la culpabilité qu’on peut parfois éprouver d’être en vie. Baigné d’une enveloppante atmosphère onirique et porté par une distribution impeccable, All of Us Strangers s’avère une audacieuse illustration des manifestations du deuil.

En salle

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All of Us Strangers (v.f. : Sans jamais nous connaître)

Drame

All of Us Strangers (v.f. : Sans jamais nous connaître)

Andrew Haigh

Andrew Scott, Paul Mescal, Claire Foy

1 h 45

8,5/10