Oppenheimer n’est pas qu’un film biographique sur « le père de la bombe atomique » ou que le récit d’une page d’histoire. Ce que Christopher Nolan propose est une immersion dans la vie d’hommes qui ont changé le destin de l’humanité.

On regarde Oppenheimer comme si on y était. Dans les salles de classe d’universités, dans le village-laboratoire de Los Alamos, dans la pièce exiguë de l’audition de sécurité du physicien. Le réalisateur de Dunkirk et d’Inception parvient à nous transporter en plaçant sa caméra au milieu de conversations scientifiques, politiques, mais aussi humaines. Ce dernier aspect pouvant être une lacune de ses œuvres passées.

Des scènes courtes et rythmées, surtout dans la première heure, ainsi que des sauts avant et arrière dans le temps simulent autant l’effervescence dans le cerveau du jeune J. Robert Oppenheimer que la pression exercée sur celui-ci à l’époque du maccarthysme. La tension est exacerbée par la partition aussi géniale qu’angoissante de Ludwig Göransson (Tenet, les deux Black Panther).

PHOTO MELINDA SUE GORDON, FOURNIE PAR UNIVERSAL

Kitty et J. Robert Oppenheimer (Emily Blunt et Cillian Murphy) lors de l’audition de sécurité de ce dernier

Mais ce qui nous maintient réellement dans le moment est le regard de Cillian Murphy, qui incarne de façon magistrale l’Américain d’origine allemande. Avec une douce intensité, on sent sa détermination à vaincre les nazis dans la course à la bombe, son malaise quant à l’utilisation de l’arme atomique contre le Japon, mais également ses incertitudes amoureuses et sociales – bien présentes dans son mariage (tragique Emily Blunt dans le rôle de sa femme Kitty). L’acteur irlandais remportera certainement tous les prix.

Fissions multiples

D’après le livre American Prometheus, de Kai Bird et de Martin J. Sherwin, Christopher Nolan a divisé son film de deux façons. La vie de J. Robert Oppenheimer est racontée en trois temps, de manière plutôt linéaire, en commençant par ses études à Harvard, puis en Europe, et son retour aux États-Unis, à l’Université de Californie à Berkeley. C’est là qu’il est recruté pour le projet Manhattan, en 1942, par le colonel Leslie Groves (Matt Damon, qui trouve encore le moyen d’être convaincant). Devant l’urgence de créer une bombe atomique avant l’Allemagne, Oppenheimer assemble une équipe formée des esprits les plus brillants au pays et les réunit à Los Alamos, au Nouveau-Mexique, où est établi en un temps record un vaste campus dans lequel vivent aussi les scientifiques et leur famille.

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Leslie Groves (Matt Damon) et J. Robert Oppenheimer (Cillian Murphy)

C’est à cet endroit que se déplace l’action pour la deuxième partie du long métrage de trois heures. Les joutes verbales entre érudits et la dynamique dans le village sont fascinantes et auraient pu être plus exploitées. C’est également dans ce secteur qu’a lieu l’essai atomique Trinity. Bien que l’on sache qu’il sera concluant, on éprouve la même peur que celle qu’on lit sur chacun des visages couverts de lunettes protectrices. Encore ici, la musique de Ludwig Göransson y est pour beaucoup, tout comme les images de Hoyte Van Hoytema et le montage de Jennifer Lame. La force de l’explosion – créée sans effets spéciaux numériques – est indescriptible. La composition de cette scène sera étudiée dans les cours de cinéma.

Fusion narrative

La décision du président Harry Truman (Gary Oldman, brièvement excellent) de larguer des bombes sur Hiroshima et Nagasaki lance le dernier acte.

L’atrocité n’est pas montrée, mais on la ressent. Oppenheimer estime qu’il a « du sang sur les mains ». Il tente d’utiliser son influence pour améliorer le contrôle international des armes nucléaires.

La création de la Commission de l’énergie atomique des États-Unis (AEC) en 1946, puis d’un comité consultatif présidé par Oppenheimer, mène à des frictions entre le scientifique et des politiciens, dont Lewis Strauss (Robert Downey Jr., qui pourrait remporter son premier Oscar).

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Lewis Strauss (Robert Downey) et Oppenheimer (Cillian Murphy)

Celui-ci est au centre d’une série de scènes en noir et blanc que Christopher Nolan parsème depuis les premières minutes. Ancien président de l’AEC, Strauss passe devant une commission dans l’espoir d’obtenir un poste au Sénat.

L’autre retour en arrière que l’on suit depuis le début, celui-ci en couleurs ternes, est l’audition de sécurité d’Oppenheimer. Ses idées de gauche et ses vieilles fréquentations liées au Parti communiste, dont Jean Tatlock (Florence Pugh à fleur de peau), sont vues comme des risques par une administration en pleine guerre froide. Sa loyauté et son intégrité sont remises en question.

Ces deux histoires parallèles composent la finale d’Oppenheimer et se rejoignent de merveilleuse façon dans la scène ultime entre le personnage titre et Albert Einstein (Tom Conti, totalement crédible).

Oppenheimer est un grand film qui passera à l’histoire, surtout parce qu’il la raconte si bien. En ce qui nous concerne, ce n’est toutefois pas le chef-d’œuvre attendu. Par son audace et sa sensibilité, Interstellar reste notre préféré de Christopher Nolan. C’est bien entendu une question de goût, mais qui se justifie ici par l’expérience proposée. L’impression d’être témoin des évènements d’Oppenheimer est si forte et la réflexion offerte à la toute fin si puissante qu’il est presque impossible de l’apprécier comme un simple divertissement. Ce n’est pas une mauvaise chose, cependant. C’est du cinéma.

En salle

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Oppenheimer

Drame biographique

Oppenheimer

Christopher Nolan

Avec Cillian Murphy, Emily Blunt, Robert Downey Jr.

3 h

8,5/10