Reconnu pour son sens du romanesque (Frantz), aussi parfois pour celui de la provocation (Dans la maison, L'amant double), François Ozon change complètement de registre en proposant un film de fiction basé sur des faits réels. Bien fouillé, très documenté, Grâce à Dieu emprunte un peu la démarche de Spotlight (Tom McCarthy), à la différence que l'enquête sur les actions d'un prêtre pédophile, et le silence dans lequel s'emmure l'institution de l'Église, est ici menée par les victimes plutôt que par des journalistes.

Ozon a d'ailleurs eu la bonne idée de structurer son récit de telle sorte que 3 des 85 victimes qu'aurait faites le prêtre Bernard Preynat (Bernard Verley) se passent le relais de l'une à l'autre. Il y a d'abord Alexandre (Melvil Poupaud), un homme très croyant, père d'une famille nombreuse, qui, le premier, cherche à dénoncer les agressions dont il a été victime quelques décennies plus tôt auprès des autorités ecclésiastiques de Lyon. Il est en outre reçu par le cardinal Barbarin (François Marthouret). À la suite de l'inaction de ce dernier, Alexandre porte l'affaire en justice.

François (Denis Ménochet), aussi agressé à l'époque où il était scout, fonde une association, nommée La parole libérée, afin de regrouper plusieurs des victimes du prêtre. Les témoignages mis en ligne sur le site internet de l'association se révèlent aussi douloureux qu'accablants. Et évoquent bien la brisure intérieure que ces hommes n'ont jamais pu cicatriser.

Des trois personnages principaux, Emmanuel (Swann Arlaud) est celui qui paraît le plus abîmé. Sa famille estime d'ailleurs qu'il vaudrait peut-être mieux ne plus parler de ce douloureux souvenir et l'enterrer à tout jamais. C'est pourtant en décrivant le quotidien de cet homme, ainsi que celui des deux autres, que François Ozon révèle la gravité et la lourdeur des dommages intérieurs subis par ces victimes, tant sur le plan psychologique que dans leur chair.

Un récit prenant

Le cinéaste montre aussi comment le sentiment de culpabilité a du mal à changer de camp. À ce chapitre, on peut difficilement éviter le parallèle avec Leaving Neverland, ce documentaire accablant dans lequel témoignent deux présumées victimes de Michael Jackson, tellement le modus operandi est le même. Certaines victimes ont d'ailleurs mis beaucoup de temps à différencier la « fierté » enfantine d'avoir été l'objet de l'affection du prêtre de la réalité de l'agression.

Le récit est prenant. On le suit d'ailleurs comme s'il s'agissait d'un thriller, d'autant que la suite de cette histoire est en train de s'écrire.

Le cardinal Barbarin a récemment été condamné pour non-dénonciation d'agressions sexuelles (le pape François a cependant refusé sa démission) et le père Preynat devra bientôt avoir un procès. Grâce à Dieu tire aussi son efficacité du fait que François Ozon évite le film à charge antireligieux. Il démonte plutôt les mécanismes qui font que, depuis la nuit des temps, dirait-on, l'Église préfère gérer ce genre de drame à sa façon, dans le déni.

Cela dit, l'évocation d'une affaire réelle force le cinéaste à emprunter une approche plus didactique. Grâce à Dieu s'inscrit de façon différente dans la filmographie du réalisateur de 8 femmes et de Potiche. François Ozon nous offre ici un film nécessaire (la discussion que Grâce à Dieu suscite depuis deux mois en est la preuve), mais on peut aussi préférer le cinéaste quand il est plus libre de ses mouvements.

***1/2

Grâce à Dieu. Drame de François Ozon. Avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud. 2 h 17.

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Grâce à Dieu