Il en aura fallu du temps aux Nuits blanches du facteur pour se rendre jusqu'à nous. On ne perdait rien pour attendre. Ce superbe et poignant drame social naturaliste du grand Andreï Kontchalovski est un moment de cinéma trop rare, à la fois poétique et politique. Le Russe a obtenu le très mérité Lion d'argent de la meilleure réalisation à Venise en... 2014!

Les nuits blanches... est un projet de fiction très particulier puisque tous les acteurs (amateurs) jouent, en quelque sorte, leur propre rôle! Aleksey Tryapitsyn est le facteur du titre. Il est chargé de distribuer courrier et pensions aux riverains du lac Kenosero, dans une région perdue du nord de la Russie.

Mais l'ex-alcoolique joue un bien plus grand rôle, celui de lien entre les habitants et la «civilisation». Mais aussi celui de confident, de protecteur auprès des vieux, de psy amateur...

Autour de Liocha, comme l'appellent ses concitoyens, et d'une truculente galerie de personnages secondaires, Kontchalovski brode une intrigue ténue, mais révélatrice. Le facteur tente maladroitement de séduire la garde-pêche Irina Ermolova, même si l'intérêt n'est pas mutuel. Il joue au père de substitution auprès de Timur, son fils et seul enfant de la bourgade sans école.

Puis il se fait voler le moteur de son hors-bord, qui lui sert à la livraison du courrier. Sans argent pour le remplacer, il se bute à la lenteur bureaucratique de la Poste russe... Liocha en perd le sommeil et hallucine un gros chat gris dans son modeste logis...

Dans ce village figé dans le temps, ses habitants laissés à eux-mêmes éprouvent la nostalgie d'une époque révolue, celle du socialisme de l'URSS. Même si certaines pratiques inégalitaires persistent. Ils côtoient la modernité, une base de lancement de fusées, sans la voir. 

Ce 19e long métrage de Kontchalovski n'est pas aussi ouvertement politique que son brillant Cercle des intimes (1991), sur le projectionniste de Staline; que La maison de fous (2002); ou, encore, le puissant Léviathan (2014) d'Andreï Zviaguintsev, un peu sur les mêmes thèmes et dont l'action est aussi campée dans un petit village reclus. Mais il jette néanmoins un éclairage cru sur la réalité actuelle d'une partie de la population.

L'approche est fascinante pour nous à bien des égards. La démarche documentaire s'apparente à notre cinéma-vérité. Les paysages sauvages de conifères et de grandes étendues, magnifiquement mis en image par Aleksandr Simonov, rappellent ceux du Nord québécois. Sans parler du destin de ces colons à qui on a promis le bonheur sur une terre ingrate à défricher au bout du monde...

Sur des cadres larges et des plans fixes, le cinéaste pose un regard affectueux sur ses compatriotes, tout en transposant avec succès le vague à l'âme russe, mais aussi leur sentiment d'appartenance et d'enracinement. Les scènes où le facteur navigue, avec une trame sonore planante d'Eduard Artemyev, ont un pouvoir hypnotique.

Bien sûr, il ne passe pas grand-chose dans ce film. Sauf la vie. Du cinéma à l'état pur.

N'eût été Vladimir Buzov, les cinéphiles du Québec n'auraient jamais vu Les nuits blanches du facteur sur grand écran. Établi depuis peu à Montréal, le distributeur veut donner une plus large visibilité au cinéma russe au Canada. Il livrera d'ailleurs cet automne Paradis, du même Kontchalovski, qui a obtenu le même Lion d'argent de la Mostra de Venise, cette fois en 2016. Prometteur.

* * * 1/2

Les nuits blanches du facteur. Drame social d'Andreï Kontchalovski. Avec Aleksey Tryapitsyn, Irina Ermolova et Timur Bondarenko. 1h38.

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