Il y a au moins deux manières de regarder le nouveau film du toujours pertinent réalisateur François Ozon. Au premier degré, Angel raconte l’ascension et la chute d’une jeune fille anglaise qui réalise son rêve de devenir une écrivaine célèbre au début du XXe siècle. Au second degré, le film oppose deux visions de l’art; celui qui est créé pour plaire et générer le succès et celui qui vient de l’avant-garde et qui tarde à être reconnu.

Adapté d’un roman de la Britannique Elizabeth Taylor (1912-1975), le Angel d’Ozon s’inspire aussi du personnage de Scarlett O’Hara, pour son égoïsme et sa vanité. Dans un subtil et délicieux décalage, tout le film est d’ailleurs marqué par le cinéma des années 30 et 40.

Angel Deverell (Romala Garai), fille d’une épicière de province et orpheline de père, trouve refuge dans la fertilité de son imagination. Elle se projette en fille d’aristocrate, en romancière riche et célèbre. Et sa plume exaltée la conduit du rêve à la réalité.

En jouant sa vie comme une actrice surdouée, Angel se rend au paradis; elle trouve l’amour, l’amitié, la richesse et la gloire. Mais le mensonge la propulse aussi vers l’enfer; c’est par lui que tout s’effondre et qu’Angel s’isole dans les ruines de sa vie rêvée.

François Ozon, réalisateur-vedette du nouveau cinéma français, dit s’être inspiré de ses expériences avec plusieurs actrices pour construire son héroïne. On soupçonne aussi que l’interaction d’Angel avec son mari (M. Fassbender), un peintre d’avant-garde, représente les questionnements d’Ozon en tant qu’artiste. Faut-il surprendre quitte à être boudé avant d’être consacré, ou faut-il donner au public ce qu’il aime, quitte à sombrer dans l’oubli avec le temps?

Personnage de démesure

Au-delà de ce dilemme, la représentation de l’ascension d’une petite fille de province au siècle dernier est criante de modernité. Ne reconnaît-on pas en Angel la même quête de célébrité et de reconnaissance que celle de tous ces wannabes de Star Académie, Occupation double ou Loft Story?

Angel est un personnage de démesure qui donne sa couleur à tout le film, des décors aux costumes. La puissance de son surmoi rend la jeune femme à la fois insupportable et attachante. On sent derrière sa mythomanie une fêlure, une douleur plus grande encore que son exubérance. C’est grâce à Romala Garai, qui joue magnifiquement la candeur, la force et la fragilité.

Autour d’elle, une galerie de personnages secondaires nouent d’autres intrigues : l’éditeur dont on devine les émotions troubles (Sam Neill), sa femme jalouse et méprisante (Charlotte Rampling), la sœur du mari peintre, secrètement amoureuse, et puis la maîtresse, comme une trace ineffaçable d’un passé qu’Angel voulait tellement oublier…

Angel, c’est un rêve né dans un cauchemar et un cauchemar qui colle au rêve.