À 5 h ce matin, heure de Berlin, Kim Nguyen et son producteur, Pierre Even, se sont glissés en voleurs à l’intérieur du Palais des Festivals. But de l’opération ? Un dernier réglage technique avant la projection de presse de 9 h de Rebelle, un film écrit et réalisé par Nguyen, tourné au Congo et racontant la quête douloureuse mais pleine de lumière de Komona, une enfant-soldat de 12 ans devenue sorcière de guerre malgré elle.


Devant l’immense écran de cette vaste salle habillée de velours rouge, le cinéaste de 37 ans, un grand gaillard au crâne rasé, qui tient plus des Bérubé d’Amqui que des Nguyen du Vietnam paternel, a pris toute la mesure de l’honneur qu’on lui faisait. Se retrouver en compétition à Berlin, ce n’est pas rien. C’est faire partie du club sélect de seulement 18 films, choisis à travers le monde entier. Et la dernière fois que c’est arrivé à un film québécois, c’était en 1999. Pour Rebelle, le chemin pour y parvenir fut étonnamment rapide.


« Pour être honnête, on a décidé à la dernière minute de tenter notre chance à Berlin, raconte la productrice Marie-Claude Poulin. Tellement à la dernière minute qu’ils ont d’abord refusé notre candidature, nous avions dépassé la date limite. Ils nous ont toutefois invités à envoyer un premier montage de Rebelle pour l’inscrire dans une section parallèle comme Panorama. »

Puis, le 6 janvier, les producteurs de Rebelle ont appris avec stupéfaction que leur film avait été retenu non pas pour Panorama, mais pour la compétition officielle !


« Je n’en revenais pas ! raconte Kim Nguyen, rencontré à Berlin. Mes trois autres films ont tous fait le circuit des festivals, mais une sélection de cet ordre-là, c’est autre chose. Ça m’impressionne beaucoup. »


Le cinéaste est à ce point ravi que la programmation du film en toute dernière journée de la Berlinale, quand presse et jury sont épuisés et au bord de l’overdose, ne le dérange même pas. Idem pour ses producteurs.


« Au début, on ne savait pas trop si c’était une bonne chose, raconte Marie-Claude Poulin. Mais la direction de la Berlinale nous a beaucoup rassurés, d’abord en expliquant qu’ils avaient placé le film stratégiquement pour qu’il soit la découverte et la surprise de la fin, puis en nous nommant tous les films présentés à la fin de la Berlinale qui sont repartis avec des prix par le passé. »


Pour la surprise, cela risque d’en être toute une, considérant que Rebelle est une production québécoise tournée au Congo, en français et en lingala, par un cinéaste à moitié vietnamien qui a choisi de raconter une histoire totalement africaine avec une enfant de la rue congolaise. Bonjour la diversité ! Mais en quoi Rebelle est-il un film québécois ? Pierre Even s’empresse de répondre.


« Le film est québécois à cause de Kim, qui est québécois et qui a un univers singulier qui n’appartient qu’à lui. Il a le recul qu’un Africain ne pourrait avoir sur le même sujet et un point de vue naturellement non colonialiste du fait qu’il est québécois et non européen ou américain. »


Kim Nguyen renchérit : « Notre grand luxe, au Québec et au Canada, c’est de pouvoir faire des films qui sont québécois ou canadiens parce que leurs auteurs le sont, point. Je n’ai rien contre la réalité québécoise. Mon prochain film porte d’ailleurs sur le Québec des années 50. Reste que peu importe si dans Rebelle je montre une réalité éloignée de mon quotidien, ce qui compte, c’est qu’en tant que cinéaste, je m’identifie totalement au personnage de Komona et à sa résilience. C’est d’ailleurs ça, le sujet de mon film : la résilience humaine dans le monde postmoderne où des enfants de 12 ans deviennent des machines à tuer et où la pauvreté sidérante de l’Afrique surpasse n’importe quelle installation d’art contemporain qui essaie de nous choquer. »


Ayant vu le film lors d’une projection spéciale à l’ambassade du Canada à Berlin, je peux dire ceci : outre ses qualités techniques et l’authenticité qui s’en dégage, la grande force de Rebelle, c’est qu’il démarre comme un film sur les enfants-soldats et l’horrible violence à laquelle ils sont soumis. Puis, lentement, au moyen d’éléments oniriques comme des fantômes couverts de chaux ou comme ce village d’Africains albinos surgi de nulle part, le film décolle de la réalité plate et documentaire pour devenir quelque chose de plus grand, de plus riche et de plus universel : la quête d’une enfant qui résiste avec l’énergie du désespoir à la déshumanisation.


Il est toujours périlleux de faire des prédictions. Il reste que Rebelle est un film fait sur mesure pour la Berlinale : par son sujet explosif et rarement traité, par l’originalité de la forme et du point de vue et par la jeunesse de son cinéaste.


De la douzaine de films que j’ai vus, Rebelle a ce petit quelque chose que les autres films n’ont pas. Mais je n’ai pas vu tous les films, surtout dans les derniers milles de la compétition. Il se peut qu’une ou deux perles m’aient échappé. Chose certaine, lorsque l’équipe de Rebelle quittera Berlin, dans tous les cas de figure, il y a des chances que ce soit avec plus qu’un ourson en peluche.