Depuis sa présentation au Festival de Cannes, le nouveau film de Todd Haynes est pressenti pour figurer dans la course aux Oscars. Les noms de Rooney Mara et de Cate Blanchett circulent déjà beaucoup...

Dans Carol, Cate Blanchett prête ses traits à celle dont le prénom est aussi le titre du film. Il s'agit d'une femme mariée, mère d'un enfant. Dans le carcan social du début des années 50, cette «maîtresse de maison» ne peut révéler sa véritable orientation sexuelle. Pourtant, son comportement «immoral» aura tôt fait d'éveiller quand même les soupçons de son mari (Kyle Chandler). Le destin bascule le jour où, dans un magasin, une jeune vendeuse (Rooney Mara) la remarque. Et en tombe amoureuse.

Ce drame lesbien est l'adaptation de The Price of Salt (Les eaux dérobées), un roman que l'écrivaine Patricia Highsmith a publié sous le pseudonyme Claire Morgan dans les années 50. D'une part, le ton de cette histoire, à caractère intimiste, jurait avec celui qu'elle empruntait dans ses romans noirs. De surcroît, ce récit avait la particularité de décrire une histoire d'amour entre deux femmes, sans aboutir obligatoirement sur un dénouement tragique.

En ces temps-là, proposer une vision moins négative de l'homosexualité constituait pratiquement un geste subversif. Aussi le roman a-t-il connu un écho au sein des cercles lesbiens de l'époque.

Une première fois

On ne s'étonnera guère que Todd Haynes ait voulu porter cette histoire à l'écran. En empruntant la forme d'un mélodrame classique, l'héritier du cinéma de Douglas Sirk peut ainsi magnifier l'époque qu'il décrit sur le plan de la direction artistique. Il offre ainsi un film qui s'inscrira dans la parfaite continuité de Far from Heaven, tourné il y a 13 ans. Le cinéaste y voit toutefois une approche différente.

«De tous les films que j'ai réalisés, je crois que Carol est le premier dans lequel j'aborde aussi frontalement une histoire d'amour, a déclaré Todd Haynes lors d'une conférence de presse tenue récemment à New York. Quand on m'a proposé ce scénario, Cate était déjà de la partie. D'une certaine façon, j'ai vu ce récit comme une histoire de conquête. Ce qui arrive entre ces deux femmes va évidemment les changer à jamais. Et la vulnérabilité évolue, passe de l'une à l'autre. Ça m'attirait beaucoup.»

Même si le personnage doit répondre aux codes sociaux en vigueur dans les années 50, Carol n'est pas tellement un film d'époque aux yeux de Cate Blanchett.

«Cette femme arpente un territoire inexploré, explique l'actrice. Elle flotte un peu, de la même façon qu'on le fait dès qu'on tombe amoureux de quelqu'un pour la première fois. Cela dit, elle risque beaucoup. Si une mère de famille prend une décision qui lui permet de survivre, elle peut perdre la sympathie du spectateur. Je ne crois pas qu'il en serait pareil pour un père qui découvrirait son homosexualité. Une femme doit jouer son rôle de mère avant tout si elle ne veut pas perdre son identité. J'ai aimé que Todd ne soulève jamais la question de la sympathie. En tant qu'actrice, l'idée de jouer pour gagner la sympathie du public me révulse!»

Vivre à l'instinct

La scénariste Phyllis Nagy, qui s'est battue pendant 14 ans pour faire aboutir ce projet, tenait justement à ce que le récit reste «neutre». À ses yeux, les personnages devaient suivre leur propre trajectoire sans la transposer dans les codes sociaux d'aujourd'hui.

«Je ne voulais pas imposer une psychologie contemporaine aux personnages, dit-elle. Sinon, on pourrait facilement tomber dans le jugement. Quand j'écris, il m'est très facile d'oublier la vie d'aujourd'hui. Je dirais que la grande différence réside dans le fait que nous sommes maintenant plus conscients de ce que l'on fait. On mesure tout, on calcule tout, on analyse tout. À l'époque, on vivait davantage à l'instinct.»

Ni politique ni militant

Pour donner la réplique à Cate Blanchett, qui offre une fois de plus une remarquable composition, Todd Haynes a fait appel à Rooney Mara (The Girl with the Dragon Tattoo). Cette dernière a d'ailleurs obtenu le prix d'interprétation féminine, ex aequo avec Emmanuelle Bercot (Mon roi), au Festival de Cannes.

«Il n'y a rien de politique ou de militant, fait remarquer l'actrice. On ne prêche rien. On invite plutôt le spectateur à prendre ce film pour ce qu'il est: une belle histoire d'amour entre deux êtres humains. J'ai beaucoup apprécié les deux semaines de répétitions dont nous avons bénéficié avant le tournage, car nous avons pu non seulement définir le parcours de Thérèse, mais aussi explorer toutes les facettes du scénario.»

Todd Haynes a d'ailleurs souligné à quel point choisir une actrice qui peut être à la hauteur de Cate Blanchett n'est pas une tâche facile.

«Rooney s'est révélée magnifique. C'est une grâce que d'avoir deux actrices de ce calibre devant sa caméra.»

À Cannes, la scène d'amour - quand même très pudique - entre Thérèse et Carol avait en outre marqué les esprits.

«Tourner une scène d'amour avec une autre actrice n'a rien de différent d'avec un homme, avait alors déclaré Cate Blanchett. D'autant que cette scène est essentielle au film. Elle n'est pas là du tout pour aguicher. Bien sûr, on appréhende toujours un peu le tournage d'une scène comme celle-là, mais ça n'a rien à voir avec le fait que la partenaire est une femme. Un rôle comme celui-là est un cadeau. Plus riches et plus diversifiées sont les histoires et le cinéma ne s'en portera que mieux!»

Plus tôt cette semaine, le Cercle des critiques de New York a attribué à Carol le prix du meilleur film de l'année.

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Carol prendra l'affiche le 11 décembre. Les frais de voyage ont été payés par Les Films Séville.