Dans le nouveau film de Bennett Miller, Channing Tatum prête ses traits à un athlète olympique impliqué dans un fait divers aussi étrange que tragique.

Il y a quelques années à peine, Channing Tatum était un inconnu. En 2006, celui qui est aujourd'hui devenu l'une des plus grandes stars hollywoodiennes a tourné dans A Guide to Recognizing Your Saints, un film indépendant dans lequel il tenait un rôle de soutien aux côtés des têtes d'affiche Robert Downey Jr., Dianne Wiest et Shia LaBeouf. C'est en regardant ce film «que personne n'a vu» que Bennett Miller, qui avait tourné Capote l'année précédente, a repéré le jeune acteur. Dans son esprit, le cinéaste venait enfin de trouver «son» Mark Schultz, l'un des personnages principaux de Foxcatcher. Il aura quand même fallu sept ans avant que le projet ne se concrétise.

«À l'époque, Bennett m'a fait lire son scénario, a expliqué l'acteur au cours d'un entretien accordé à La Presse en marge du Festival de Toronto. Bien franchement, je ne savais pas trop quoi en penser. Je crois que je n'avais pas les clés pour bien saisir cette histoire. Ou du moins comprendre de quoi parlait vraiment ce script. J'étais probablement un peu trop jeune. Ou pas assez expérimenté. Remarquez que je ne considère pas avoir formidablement mûri en tant qu'acteur depuis, mais je crois avoir quand même acquis plus d'expérience.

«Puis, poursuit-il, j'ai recroisé Bennett chez Sony alors qu'il venait tout juste de terminer Moneyball. Nous nous sommes reparlé de Foxcatcher. Il était clair que nous étions devenus deux personnes différentes. Je remercie le ciel d'avoir eu droit à ces quelques années de distance. À l'époque, je n'aurais vraiment pas su comment aborder le rôle.»

Le destin bascule

Tatum s'est ainsi glissé dans la peau de Mark Schultz, champion américain de lutte olympique et médaillé d'or aux Jeux de Los Angeles, en 1984.

Deux ans après sa victoire, l'athlète vit très modestement et compte se préparer pour les prochains Jeux, lesquels se tiendront à Séoul. Or, son destin bascule le jour où le milliardaire John du Pont (Steve Carell), admirateur de cette discipline olympique, l'invite dans son vaste domaine afin qu'il puisse s'entraîner dans les meilleures conditions. L'athlète s'installe là-bas en compagnie de son frère, David (Mark Ruffalo), lui aussi champion olympique et désormais entraîneur. Une relation de pouvoir s'installe alors progressivement entre le milliardaire et Mark. L'ascendant qu'exerce le nabab sur son poulain commence même à prendre une tournure malsaine.

Au retour des Jeux de Séoul, pendant lesquels Mark a offert une contre-performance, tout dérape. David est assassiné et le milliardaire, paranoïaque et schizophrène, est jeté en prison. Le véritable Mark Schultz, toujours vivant, a servi de consultant pour les besoins du film et a souvent visité le plateau.

«En fait, environ sept mois avant le début du tournage, j'ai pu passer quelques jours avec Mark. Il est aussi venu me rendre visite sur le plateau d'un autre film que j'étais en train de tourner. Pendant que nous tournions Foxcatcher, il était là. Honnêtement, je ne sais pas comment j'aurais pu tourner certaines scènes sans lui. Cela dit, sans être intimidante, sa présence était quand même plus «distrayante» pour d'autres scènes. Tu es conscient qu'il y a dans la pièce quelqu'un qui est davantage Mark Schultz que toi!»

Un frère et... un inconnu?

Le récit de Foxcatcher s'attarde aussi à décrire la relation très forte qu'entretenait Mark avec son frère David. Dès le départ, Miller expose le degré d'intimité que partagent les frangins grâce à une séquence où l'on voit les deux athlètes s'échauffer, suivie d'une scène de combat filmée au plus près des corps.

«Je le dis sans ambages: je n'aurais pas pu passer au travers de ce film sans Mark Ruffalo, fait remarquer Channing Tatum. Ni physiquement ni mentalement. Il a été un vrai confident et un allié précieux. On s'est entraînés beaucoup ensemble. Il fallait être crédibles en tant que lutteurs, évoquer l'intimité que partagent ces deux frères et traduire la réelle affection qui les lie. Mark est tellement adorable que cela n'est guère difficile.

«Avec Steve Carell, en revanche, c'était autre chose! ajoute-t-il. Au Festival de Cannes, nous avons beaucoup ri ensemble, car nous avions l'impression de ne jamais nous être rencontrés auparavant! Pendant le tournage, nous gardions l'esprit de nos personnages, même quand la caméra ne tournait pas. C'était un peu tordu. Nous n'avions rien décidé, ça s'est établi tout seul, sans même que nous en discutions!»

Channing Tatum peut en tout cas se vanter de connaître du succès dans plusieurs styles. Outre Foxcatcher, qui risque d'être retenu dans quelques catégories aux Oscars, il a été cette année la tête d'affiche de 22 Jump Street, un immense succès populaire. Acteur fétiche de Steven Soderbergh dans les dernières années, Tatum est aussi attiré par l'écriture et la réalisation. Il cosigne en outre le scénario de Magic Mike XXL (dont la réalisation est cette fois assurée par Gregory Jacobs). Il devrait aussi bientôt passer derrière la caméra et tourner son premier long métrage, Forgive Me, Leonard Peacock, une adaptation d'un roman pour jeunes adultes de Matthew Quick.

«Depuis trois ou quatre ans, je suis obsédé par les histoires, dit-il. J'étudie leurs structures, comment elles sont construites. J'aime faire différentes choses. Aller d'un genre à l'autre, c'est comme parler plusieurs langues. Toutes les expériences me sont utiles, même si les films n'ont parfois rien à voir les uns avec les autres. Je suis en appétit. Surtout, j'apprends. Toujours.»

Foxcatcher prend l'affiche le 19 décembre à Montréal et le 23 janvier 2015 ailleurs au Québec.

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Un baptême cannois pour Channing Tatum

La première mondiale de Foxcatcher a eu lieu en mai dernier au Festival de Cannes. Le jury, présidé par la cinéaste Jane Campion, a d'ailleurs attribué le prix de la mise en scène à Bennett Miller, réalisateur du film. Pour l'occasion, Channing Tatum s'est rendu sur la Croisette pour la première fois.

«On ne peut pas aller à Cannes sans être impressionné par ce tout ce qui se passe là, a confié l'acteur à La Presse quelques mois plus tard. Honnêtement, je ne savais pas trop à quoi m'attendre. J'avais évidemment entendu parler du festival. Je connaissais sa réputation. On m'avait dit qu'il y avait là un public exigeant et difficile. Fort heureusement, tout s'est magnifiquement déroulé pour nous. Nous avions même un peu l'impression d'être des gladiateurs acclamés par la foule lorsqu'ils entrent dans l'arène du Colisée. Nous avons ressenti beaucoup de fierté. C'est le genre d'expérience qui n'arrive qu'une fois dans une vie, je crois.»