Martine Francke et Sébastien Ricard, qui étaient de la distribution du premier film de Jimmy Larouche, ont sauté à pieds joints dans le projet Antoine et Marie, et repoussé les frontières de leur jeu. Cela, sans tourner ensemble, puisque le film s'attarde sur «l'après» d'un viol dont la victime ne se souvient pas.

On ne voit pas assez Martine Francke dans des premiers rôles au cinéma. C'est ce qu'on se dit après avoir vu Antoine et Marie, où elle crève l'écran. La comédienne a été du projet dès sa conception. 

«Après La cicatrice, j'ai dit à Jimmy: "C'est trop le fun de travailler avec toi, j'en prendrais plus." Depuis le début du projet, il m'a fait lire ses dialogues, on se textait et on s'appelait tout le temps. Arrivée sur le plateau, j'étais complètement à l'abandon. Je ne voulais pas regarder les scènes, j'avais confiance en son regard.»

Pour le personnage de Marie, Martine Francke a discuté avec plusieurs femmes qui ont vécu un viol. «Ce sont elles que j'avais en tête et dans le coeur, constamment. Je me sentais comme une porte-parole, ou plutôt une porte-douleur de ces femmes.»

Dans Antoine et Marie, on ne voit aucune scène de l'agression, ce qui amplifie le drame de Marie. Droguée au GHB un soir où elle est sortie dans un bar avec ses collègues, elle sait qu'elle a été agressée, mais ne se souvient pas de son agression. Dès lors, tout le monde est suspect à ses yeux, d'autant plus qu'elle travaille dans un milieu masculin.

«On ne se souvient pas, mais le corps se souvient, note-t-elle. On a des flashs, des sensations physiques, des images qui vont revenir. Les victimes se rendent compte physiquement qu'il s'est passé quelque chose. C'est troublant d'avoir perdu la carte, mais de sentir profondément dans son corps qu'il y a eu une agression. Et, quelque part, les femmes vont se dire que c'est de leur faute. C'est pourquoi elle n'en parle pas à son conjoint [Guy Jodoin].»

La foi

Sébastien Ricard a accepté le rôle complexe d'Antoine, un homme qui semble vivre dans un enfer personnel, frustré à tous les niveaux et accro au porno. «C'est un homme enfermé, malsain, mais il y a plein de gens comme ça autour de nous, dit-il. Ce n'est pas un rôle ingrat, car je trouve que mon métier, c'est d'endosser le plus de choses possible.»

Pourquoi un homme en vient-il à se sentir autorisé à droguer une femme pour assouvir ses pulsions? Il est intéressant que Jimmy Larouche ait choisi Sébastien Ricard, un comédien quand même réputé pour être séduisant, pour incarner un type aussi glauque. «Pour moi, ça participe d'une idée qui donne à l'homme une puissance sur la femme. La voie est ignoble. Aussi, on a l'impression que les gains du féminisme sont menacés. Comme dans une espèce de backlash. Je me suis promené dans deux ou trois bars pendant le week-end du Grand Prix et c'était déprimant...»

Les deux comédiens ont accepté de tourner dans un film dont les moyens financiers étaient limités parce qu'ils croient au talent de Jimmy Larouche. «Il l'a, la foi!», résume Ricard. 

Et l'une des particularités du tournage est que les deux personnages principaux n'ont pratiquement pas tourné ensemble. Nous voyons ce qui arrive après le drame.

«C'est l'une des intelligences du scénario, explique Martine Francke. Je pense que la réussite de ce film est dans la finesse, l'absence de sensationnalisme. Jimmy a une grande intelligence sensible, qui n'est pas toujours présente chez d'autres réalisateurs. C'est touchant de voir un film sur le viol par le regard d'un homme, qui filme la douleur féminine d'une façon extrêmement juste. Il a une profonde compassion pour le personnage. Je suis très heureuse d'avoir fait ça. Et quand tu as un grand rôle au cinéma, de pouvoir se déployer totalement, c'est vraiment un grand bonheur.»