Pour la carrière en France d'Inch'Allah, le film d'Anaïs Barbeau-Lavalette, les jeux sont faits. Ce n'est pas une catastrophe, mais certainement une «déception», comme nous le dit sa distributrice française, Isabelle Dubar, dont la maison Happiness a coproduit le film à hauteur de 20 %.

Au cours de sa première semaine d'exploitation dans une combinaison importante de 52 salles, le film a attiré 13 262 spectateurs.

«À partir de ce résultat, on peut espérer faire 25 ou 30 000 spectateurs en fin de course, explique Isabelle Dubar. Il est sûr que raisonnablement on visait les 50 000 spectateurs. Nous sommes donc déçus.»

Le succès ou l'insuccès d'un film se mesure au nombre d'exemplaires en circulation. À partir de 1000 spectateurs par exemplaire, on estime généralement avoir atteint le seuil de rentabilité. À 2000, on sable le champagne.

La grande séduction avait enregistré environ 4000 spectateurs par exemplaire en 2004. Et C.R.A.Z.Y. en avait fait 5000! Pour les distributeurs, c'étaient de vrais triomphes. En fin d'exploitation, Inch'Allah aura vraisemblablement attiré entre 500 et 600 spectateurs par salle. Les raisons de ce demi-échec, selon la distributrice?

«D'abord, il devient de plus en plus difficile de sortir des premiers films d'auteur sans vedette sur l'affiche. Le même jour que la sortie d'Inch'Allah, il y avait un nombre record de nouveaux films, et la fréquentation globale des salles était en forte baisse.

«Ensuite, la critique qui comptait pour ce genre d'oeuvre a été très contrastée: Télérama, La Croix et Le Nouvel Observateur ont été très élogieux, Le Canard et L'Express ont été sympas, Le Monde et Libération n'ont pas aimé. Enfin, il y a eu un problème avec le sujet: les exploitants de salles ont beaucoup aimé le film, mais il semble que dans le public, les gens s'estimaient saturés de films sur le conflit israélo-palestinien. Bref, ce n'est pas un sujet porteur ces jours-ci.»

Bien qu'elle se déclare «indifférente à la nationalité des films et de leur réalisateur», la patronne de la maison (indépendante) Happiness vient quand même de distribuer coup sur coup trois films québécois en deux ans.

Deux échecs commerciaux - Rebelle en novembre dernier, Inch'Allah aujourd'hui -, mais précédés d'un véritable triomphe, Incendies, sorti en janvier 2011 dans un réseau de 76 salles. On aurait déjà sablé le champagne si le film avait terminé à 100 000 spectateurs. Or, il a fini sa carrière avec 343 986 entrées, ce qui est phénoménal.

«Ce résultat est à la fois surprenant et mérité, estime Renaud de Rochebrune, chroniqueur de cinéma à Jeune Afrique, et spécialiste du cinéma africain et maghrébin. Surprenant parce que les films à contenu arabe ou africain font rarement des succès commerciaux. La plupart des films africains enregistrent entre 3000 et 15 000 entrées.

«Les films maghrébins, à peine plus. Mais Incendies est un très beau film. Et il a bénéficié au départ de la notoriété de Wajdi Mouawad, dont les pièces sont jouées depuis des années à travers la France. Rebelle n'avait pas cet atout décisif et, malgré ses qualités, avait cette étiquette africaine qui est plutôt un handicap. Surtout s'il est question d'enfant soldats.»

Concernant Rebelle, la distributrice a joué de malchance. Le film devait sortir dans la première moitié de novembre mais, à la date prévue, on se retrouvait en concurrence avec de grosses machines commerciales.

Et cette fois, les exploitants de salles n'étaient pas très chauds. La sortie a donc été reportée au 27 novembre, c'est-à-dire juste avant la période des Fêtes! Toujours en raison des réticences des exploitants, le nombre d'exemplaires est passé de 40 à 26 et le film s'est arrêté juste sous la barre des 15 000 spectateurs, malgré une critique unanimement favorable.

Pas que du négatif

Pour le cinéma québécois en France, le bilan des 12 derniers mois n'en est pas pour autant négatif. Café de Flore (janvier 2012), dont on espérait mieux en raison de la présence de Vanessa Paradis, a certes été une déception, mais pas un échec sanglant: 94 060 entrées pour 106 salles.

Monsieur Lazhar (septembre 2012) de Philippe Falardeau a connu des résultats plus qu'honorables avec 184 431 spectateurs pour 141 salles. Et Starbuck (juin 2012) de Ken Scott a créé une énorme surprise en devenant le succès populaire de l'été avec 466 600 spectateurs.

Cerise sur le gâteau: dans la catégorie des inclassables, le génial et bizarre Bestiaire de Denis Côté est en train de devenir un film-culte dans le circuit parallèle. Croulant sous une critique dithyrambique, le film faisait [petite] salle comble dans un seul cinéma de Beaubourg. Il y a maintenant 15 exemplaires en circulation dans le réseau art et essai, avec pas loin de 2000 spectateurs. Mais on est ici dans un autre monde, non commercial.