(Cannes) C’est le cinéma indépendant américain que le jury de la compétition du 77e Festival de Cannes, présidé par l’actrice et cinéaste américaine Greta Gerwig, a choisi de récompenser samedi soir en remettant la Palme d’or à Anora, de Sean Baker.

La cinéaste de Barbie et de Lady Bird, émue, a qualifié cette œuvre sur une travailleuse du sexe de film « magnifique, plein d’humanité », qui « nous a fait rire et nous a brisé le cœur ».

Anora raconte le mariage à Las Vegas d’une escorte de Brooklyn (Mikey Madison), avec le jeune fils fêtard d’un oligarque russe, qui tourne au vinaigre lorsque les parents de ce dernier apprennent la nouvelle. Ils feront tout en leur pouvoir afin de faire annuler l’union, en mettant aux trousses du couple des hommes de confiance et des fiers-à-bras.

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Sean Baker et l’actrice qui joue Anora, Mikey Madison

Si le cinéaste de The Florida Project et de Red Rocket laisse croire au départ qu’il met en scène un conte de Cendrillon à la Pretty Woman, on comprend vite qu’il n’en sera rien. Sean Baker réussit une fois de plus à créer des ambiances séduisantes autour de personnages marginaux, mais son intrigue s’appuie sur une série de péripéties redondantes.

« Il faut se battre pour garder le cinéma vivant et faire des films destinés aux salles », a déclaré le cinéaste de 53 ans en allant cueillir son prix. « L’avenir du cinéma se trouve où tout a commencé », a-t-il ajouté.

Sean Baker a salué deux cinéastes de la présente compétition « qui ont eu un impact profond » sur son cinéma : Francis Ford Coppola, qui était présent à la cérémonie de clôture pour remettre une Palme d’or honorifique à George Lucas, ainsi que le Canadien David Cronenberg. Les deux vétérans ont été sans surprise écartés du palmarès.

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George Lucas et Francis Ford Coppola

Un palmarès de bonne tenue, du reste, pour un Festival qui n’entrera pas dans l’histoire comme un grand cru. Certains excellents films présentés en fin de parcours ont changé la donne, mais il n’y avait pas à mon sens cette année à Cannes des œuvres du calibre d’Anatomie d’une chute ou The Zone of Interest, respectivement Palme d’or et Grand Prix de 2023, pour en faire une édition mémorable.

Cela dit, le lumineux et poétique All We Imagine As Light de Payal Kapadia a bien mérité son Grand Prix du jury. La cinéaste de 38 ans en a profité pour souhaiter que le Festival de Cannes n’attende pas encore 30 ans avant de sélectionner un nouveau film indien en compétition. Miguel Gomes a émis plus tôt en soirée un souhait semblable à propos du cinéma portugais, en allant cueillir le Prix de la mise en scène pour Grand Tour, tout en rendant hommage à Manoel de Oliveira.

  • Payal Kapadia

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    Payal Kapadia

  • Miguel Gomes

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    Miguel Gomes

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Mon film préféré de cette sélection, Emilia Pérez de Jacques Audiard, un thriller musical campé dans l’univers des cartels de la drogue mexicains, a remporté le Prix du jury, remis au cinéaste français par le Québécois Xavier Dolan. Le jury a aussi décerné le Prix d’interprétation féminine à l’ensemble de la distribution d’Emilia Pérez : Zoe Saldaña, Selena Gomez, Adriana Paz et Karla Sofia Gascón.

Cette dernière, une actrice espagnole transgenre, a livré le discours le plus émouvant de la cérémonie, animée par Camille Cottin. « À vous tous qui nous avez fait souffrir, il est temps que vous changiez ! » a-t-elle déclaré à l’endroit des transphobes. J’en connais quelques-uns qui ont dû s’étouffer dans leur crème de menthe…

Les spectateurs du Grand Théâtre Lumière ont réservé une longue ovation au cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, dont le brillant Les graines du figuier sauvage a remporté le Prix spécial du jury (ainsi que le Prix du jury œcuménique). Le cinéaste, qui a fui la semaine dernière l’Iran, où il est condamné à une peine de huit ans de prison, a dédié son prix « aux jeunes femmes au courage sans bornes » qui contestent le régime totalitaire de Téhéran.

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Mohammad Rasoulof

La cinéaste française d’un autre de mes coups de cœur de la compétition, le délirant film de body horror The Substance, Coralie Fargeat, lauréate du Prix du scénario, a quant à elle appelé toutes les femmes à faire la révolution. « Je crois qu’on peut y arriver, toutes ensemble », a-t-elle déclaré.

L’Américain Jesse Plemons, acteur polymorphe du film à sketches de Yorgos Lanthimos, Kinds of Kindness, a reçu son Prix d’interprétation masculine in absentia, sans prévoir de discours. Sa femme Kirsten Dunst avait remporté le Prix d’interprétation pour Melancholia de Lars von Trier en 2011.

La Caméra d’or du meilleur premier long métrage, toutes sections confondues, a été remise à Armand, de Halfdan Ullmann Tøndel, petit-fils d’Ingmar Bergman et de Liv Ullmann.

À l’instar de nombreuses actrices, réalisatrice et productrices qui ont manifesté à Cannes samedi sous la bannière des Guerrières de la paix, La cinéaste libanaise Nadine Labaki (Capharnaüm), membre du jury de la compétition, et la présidente du jury de la Cinef, l’actrice belge Lubna Azabal (Incendies), ont profité de leurs tribunes respectives pendant la soirée pour demander la libération des otages en Palestine et appeler à un cessez-le-feu. « Ce n’est pas normal de trouver normal que des milliers d’enfants meurent sous les bombes dans leur sommeil », a rappelé Nadine Labaki.

Ça, c’est une image qui vraiment, brise le cœur.

Le palmarès du 77e Festival de Cannes

  • Palme d’or : Anora, de Sean Baker
  • Grand Prix : All We Imagine as Light, de Payal Kapadia
  • Prix du Jury : Emilia Pérez, de Jacques Audiard
  • Prix spécial du jury : Mohammad Rasoulof, pour Les graines du figuier sauvage
  • Caméra d’or : Armand, de Halfdan Ullmann Tondel
  • Prix d’interprétation masculine : Jesse Plemons, pour Kinds of Kindness
  • Prix d’interprétation féminine : Karla Sofía Gascón, Zoe Saldaña, Selena Gomez et Adriana Paz, pour Emilia Perez
  • Prix de la Mise en scène : Miguel Gomes, pour Grand Tour
  • Prix du Scénario : Coralie Fargeat, pour The Substance
  • Palme d’or du court métrage : The Man Who Could Not Remain Silent, de Nebojša Slijepčević
  • Palme d’or d’honneur : George Lucas

Les frais d’hébergement pour ce reportage ont été payés par le Festival de Cannes, qui n’a eu aucun droit de regard sur celui-ci.