(Cannes) La compétition du 77e Festival de Cannes s’est conclue en crescendo, vendredi, avec Les graines du figuier sauvage, brillant film politique du dissident iranien Mohammad Rasoulof, qui pourrait bien obtenir samedi la Palme d’or.

Iman, juge d’instruction du tribunal révolutionnaire, est fraîchement promu au moment où éclate à Téhéran la révolte en 2022. Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans, est morte aux mains de la police des mœurs après avoir été arrêtée pour « port du voile inapproprié ». L’arme qu’Iman porte dans le cadre de ses nouvelles fonctions disparaît peu après de son appartement et il soupçonne sa femme et ses filles.

Les graines du figuier sauvage, qui s’enfonce dans une spirale paranoïaque et un climat de délation digne d’un thriller psychologique, est une attaque en règle contre la dictature iranienne, sa corruption et sa misogynie, de la part d’un cinéaste qui a été déjà été emprisonné deux fois en Iran.

Condamné en appel en avril à huit ans de prison pour « collusion contre la sécurité nationale », Mohammad Rasoulof a fui clandestinement l’Iran la semaine dernière, traversant les montagnes à pied. Il était sur place à Cannes vendredi après-midi, accompagné de deux de ses actrices, pour assister à la première de son film.

De l’universel à l’intime, Mohammad Rasoulof transpose dans une famille sans histoires les effets délétères de l’obscurantisme religieux, de la propagande nationaliste et du joug de la théocratie. Son film est un tour de force.

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL DE CANNES

Image tirée du film Les graines du figuier sauvage

Jusque-là un enquêteur réputé incorruptible, et malgré quelques cas de conscience, Iman décide de fermer les yeux sur l’iniquité du système de justice. Il se résout à cautionner les actes d’accusation qui atterrissent par centaines sur son bureau chaque jour, sans les lire, sur la seule foi de la recommandation du procureur.

Ce qui compte, pour Iman et sa femme, c’est sa promotion, la promesse d’être nommé juge et l’appartement de fonction qui vient avec.

Iman accepte aveuglément ce que lui dictent les autorités – que les jeunes femmes qui manifestent sont des traînées qui veulent se dénuder dans les rues – en se soumettant aux ordres. Il ne parvient plus à établir de contact avec ses propres filles, une adolescente et une jeune adulte, bombardées d’images de brutalité policière sur les réseaux sociaux (de véritables images, bouleversantes, que Rasoulof intègre dans son film). Et témoins d’exactions dans leur entourage. Où a disparu cette amie défigurée par des tirs de chevrotine puis arrêtée dans sa résidence universitaire ?

Métaphore du schisme générationnel, de la culture de la surveillance et du soupçon qui divise l’Iran, Les graines du figuier sauvage est brûlant d’actualité. C’est un film puissant de 2 h 48, sans temps morts, réalisé par un artiste courageux qui risque beaucoup, ainsi que ses collaborateurs, afin de raconter l’Iran des Mollahs. Est-ce que le jury présidé par Greta Gerwig y sera sensible ? Comment pourrait-il ne pas l’être ?

La Shoah vue par Hazanavicius

Michel Hazanavicius (The Artist, Redoutable) est de retour en compétition cannoise avec son premier film d’animation, La plus précieuse des marchandises, adaptation du roman homonyme de Jean-Claude Grumberg, qui en est le coscénariste.

PHOTO LES FILMS DU FLEUVE, FOURNIE PAR LE FESTIVAL DE CANNES

Image tirée du film La plus précieuse des marchandises

« Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne. Le froid, la faim, la misère, et partout autour d’eux la guerre, leur rendaient la vie bien difficile », raconte d’emblée le narrateur Jean-Louis Trintignant, dont Hazanavicius a enregistré la voix alors qu’il était déjà malade et perdait la vue.

Un jour d’hiver (fort joliment illustré), la pauvre bûcheronne recueille un bébé, abandonné par l’un des nombreux trains qui traversent leur bois. Le bûcheron, nourri par l’antisémitisme de l’époque, n’est pas ravi d’accueillir cette « marchandise » héritée des « Sans Cœur ».

Conte poétique sur la Shoah, La plus précieuse des marchandises ne se démarque pas particulièrement par son originalité, mais c’est un nouveau rappel utile de la nature humaine et de sa propension à détourner le regard lorsqu’un génocide se déroule sous ses yeux.

Un prix pour Matthew Rankin

Le très charmant deuxième long métrage du cinéaste montréalais Matthew Rankin, Langue universelle, a remporté le tout nouveau Prix du public de la Quinzaine des cinéastes, assorti d’une bourse de 7500 euros de la Fondation Chantal Akerman. Il s’agit du seul prix du public de tout le Festival de Cannes, sélection officielle et sections parallèles comprises. La Quinzaine des cinéastes est une section non compétitive à laquelle a accès le public cinéphile qui n’est pas forcément accrédité (tels les professionnels du cinéma, journalistes, etc.). Campée dans un Winnipeg décalé, tournée en persan et en français, cette comédie absurde met notamment en scène un personnage qui se nomme Matthew Rankin faisant un retour aux sources dans sa ville natale.

Les frais d’hébergement pour ce reportage ont été payés par le Festival de Cannes, qui n’a eu aucun droit de regard sur celui-ci.