(Cannes) Le mouvement #metoo est décidément sur toutes les lèvres à Cannes. Il en est même brièvement question dans le film d’ouverture du festival, Le deuxième acte, du très prolifique cinéaste français Quentin Dupieux, présenté mardi soir hors compétition au Grand Théâtre Lumière.

Dans cette satire délirante du milieu du cinéma, un acteur macho interprété par Raphaël Quenard, comédien fétiche de Dupieux et du cinéma français actuel, tente soudainement d’embrasser sa collègue Florence (Léa Seydoux). Cette dernière, après un mouvement de recul, lui explique qu’elle pourrait le dénoncer et mettre un terme à sa jeune carrière.

À ceux qui prétendent qu’« on ne peut plus rien dire », Quentin Dupieux (Le daim, Yannick, Fumer fait tousser) fait la preuve du contraire par l’absurde, comme à son habitude. Ses personnages – des acteurs qui incarnent des acteurs donc, dans une délicieuse mise en abyme – livrent sans complexe leurs préjugés homophobes (ou transphobes à la J.K. Rowling) ainsi que quantité de commentaires déplacés, notamment sur les personnes en situation de handicap.

« Tu veux qu’on se fasse cancel ? », demande David (Louis Garrel) à Willy (Quenard), qui a choisi son nom de scène en se méprenant sur les personnages de la série télé Arnold et Willy (car il aimait, et je cite : « le petit nain africain »). Willy lui répond que l’on est tous devenus bien chatouilleux depuis que Mel Gibson a osé parler des Juifs…

PHOTO LOIC VENANCE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vincent Lindon, Léa Seydoux, Quentin Dupieux et Raphaël Quenard à la cérémonie d'ouverture du Festival de Cannes

Non, Quentin Dupieux ne s’embarrasse d’aucune rectitude politique dans cette comédie décapante qui délaisse un peu son humour fantasque archétypal pour poursuivre la réflexion sur l’art, la fiction et la réalité, entamée avec Yannick l’an dernier.

Il est de nouveau question de la perception qu’a le public des artistes, mais aussi des salles de cinéma et de théâtre à moitié vides et de la crainte de l’impact de l’intelligence artificielle sur la création.

Il est futile de jouer la comédie pendant que la terre brûle, lance avec énervement Guillaume (Vincent Lindon) à Florence. Mais aussitôt que Guillaume reçoit une proposition d’un grand cinéaste hollywoodien, il se ravise. Florence, excédée par sa condescendance, se moque de ses tics nerveux (une référence méta à Vincent Lindon qui, lorsqu’il ne joue pas, souffre de tics du visage).

« Il faut séparer l’homme de l’œuvre, lui dit Willy.

— Les deux sont horribles !

— Dans ce cas-là, c’est délicat. »

Le cinéaste de Daaaaaali ! (à l’affiche au Québec dans 10 jours) et d’Incroyable mais vrai, sur une maison qui a la propriété de faire rajeunir ses occupants, a préféré ne pas accorder d’entrevues à propos de son cinquième long métrage en deux ans. Quand on vous disait qu’il est prolifique… De toute manière, son œuvre parle d’elle-même de sa réflexion sur les faux-semblants du show-business, les vanités, les jalousies, les bassesses et les jeux de coulisses.

Le personnage de David (Garrel), qui tient de beaux discours égalitaires et s’insurge devant l’homophobie de ses camarades, méprise ouvertement un restaurateur trop anxieux pour faire de la figuration. Contrairement à ces acteurs blasés, le cinéma, c’est tout pour lui. « C’est dingue, les coulisses », lui confie une dame qui assiste au tournage, dans une scène digne de Parlez-nous d’amour, de Jean-Claude Lord.

Grâce à l’humour cynique de ses dialogues savoureux et au jeu décalé de ses comédiens, tous impeccables, Le deuxième acte rappelle un autre film d’ouverture jouissif du Festival de Cannes qui pastichait le cinéma, Coupez !, réalisé en 2022 par Michel Hazanavicius. Le cinéaste de The Artist est attendu cette année en toute fin de compétition avec un film d’animation sur l’Holocauste, La plus précieuse des marchandises.