Quand Pier-Philippe Chevigny s’est lancé dans la recherche pour réaliser un film sur la réalité des travailleurs étrangers temporaires, le cinéaste a vite compris pourquoi il n’avait jamais vu de documentaire sur la question. « Il y a une omerta. Les gens ne veulent pas parler et ont peur des représailles. »

Voici une excellente raison d’en faire une fiction, approche qui permet de facilement protéger l’anonymat des sources, s’est-il dit. Après son court métrage Tala (2013), qui abordait les aides ménagères philippines travaillant à Montréal, il a voulu s’intéresser à un autre volet du programme des travailleurs étrangers temporaires du gouvernement fédéral.

« Dans ma démarche artistique, depuis toujours, je m’intéresse à des enjeux de justice sociale. Faire des films politiques, c’est un peu le carrefour de mes intérêts », explique celui qui militait pendant la grève étudiante de 2012. Et on devine bien ce désir de secouer le statu quo dans son premier long métrage, qui a remporté le grand prix du Jury au festival Les Percéides, plus tôt cette semaine.

Richelieu expose les abus subis par les travailleurs à travers l’histoire d’Ariane (Ariane Castellanos), contrainte de revenir dans son patelin pour travailler comme interprète dans une usine de transformation alimentaire. D’abord déterminée à obéir aux directives excessives du patron (Marc-André Grondin), elle se lie finalement d’amitié avec les travailleurs et tente de les défendre contre l’exploitation dont ils font l’objet.

« On a vu des films sur des travailleurs exploités du point de vue des travailleurs, on a vu des films du point de vue des boss. Mais se concentrer sur quelqu’un qui est un peu dans une posture mitoyenne, ç’a été vraiment intéressant sur le plan narratif », note Pier-Philippe Chevigny.

Une recherche rigoureuse

Avant de se lancer, le cinéaste a visité le Guatemala accompagné d’Ariane Castellanos, qui agissait comme… interprète ! Ensemble, ils ont visité une douzaine de familles et ont recueilli des témoignages, desquels Pier-Philippe Chevigny s’est inspiré dans l’écriture du scénario. La comédienne, elle-même à moitié guatémaltèque, ne se doutait pas que ce projet résonnerait autant en elle. En parallèle du récit des travailleurs, le film présente la quête identitaire de son personnage, qui trouve dans son nouvel emploi une façon de connecter avec ses origines.

« Je le vois vraiment comme un cadeau », dit-elle, ne manquant pas de rappeler qu’il s’agit de son premier rôle principal.

C’est inestimable d’avoir eu l’occasion à travers ce rôle de moi-même renouer avec mon côté guatémaltèque qui, on ne se le cachera pas, me met parfois des bâtons dans les roues dans l’industrie.

La comédienne Ariane Castellanos

PHOTO FOURNIE PAR IXION COMMUNICATIONS

Nelson Coronado interprète Manuel Morales dans Richelieu

Côtoyer les comédiens qui interprétaient les travailleurs saisonniers a fait émerger des souvenirs d’enfance, ce qui a eu un effet apaisant. « Je me sentais comme en famille. Au fil du temps, je comprenais que j’avais des références communes avec eux, qu’on partageait en quelque sorte une culture. »

S’attaquer au système

Marc-André Grondin, qui a eu un coup de cœur pour le scénario, a rapidement saisi que son personnage Stéphane, patron de l’usine, n’était pas « juste un trou de cul ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le comédien Marc-André Grondin

« Ce n’est pas une simple critique des dirigeants d’usine. C’est un examen de conscience général sur une façon de faire qui gagne à être améliorée », souligne le comédien. Le réalisateur abonde dans le même sens. « Le problème, c’est le système qui broie les hommes et qui établit une hiérarchie où chacun s’exploite jusque dans le bas de la chaîne », explique Pier-Philippe Chevigny.

L’objectif était aussi de réaliser un film relativement grand public, pour donner sens à sa vocation politique.

J’ai une volonté de faire changer les choses et pour que les choses changent, il faut que les gens voient le film. Je ne suis pas gêné de dire que c’est aussi un divertissement, que je veux que les spectateurs vivent des émotions.

Le réalisateur Pier-Philippe Chevigny

Dialoguer avec le public

Provoquer la prise de conscience est toujours un travail délicat. Mais grâce aux personnages d’Ariane et de Nicole (Micheline Bernard), qui, au départ, ne sont pas du tout au courant de ce qui se passe derrière les portes de l’usine, tout le monde peut se sentir concerné. « Comme consommateur, on est aussi un rouage de ce système parce qu’on bénéficie des bas prix d’épicerie, qui sont affectés par l’exploitation qui peut intervenir dans les chaînes de production », mentionne Pier-Philippe Chevigny.

PHOTO FOURNIE PAR IXION COMMUNICATIONS

Marc-André Grondin dans le rôle de Stéphane

« Mon but, c’était de dire au public québécois : je comprends que ça fait mal. On a un historique colonial au Québec, on a souvent l’impression qu’on ne peut qu’être dans une posture de victime. Mais force est de constater qu’on répète les mêmes mécanismes, ce qui n’enlève rien à notre fragilité au sein du Canada et à notre spécificité. Mais ne pas parler de ce problème-là, oui, c’est être complice. »

En commençant à travailler sur Richelieu, le cinéaste était bien conscient qu’il tenait entre ses mains un sujet brûlant d’actualité et que son projet pouvait à tout moment perdre de sa valeur. « La problématique existe toujours, même qu’il y a de plus en plus de travailleurs depuis la pandémie », nous dit-il. Les cas d’abus ont aussi été plus nombreux à être médiatisés depuis. Ce film est peut-être plus pertinent qu’il ne l’aurait jamais été.

Richelieu sera présenté au Festival International du Film Francophone de Namur, dont la 38e édition se déroulera du 29 septembre au 6 octobre prochains.

En salle le 1er septembre